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25 octobre 2003
La mort par le frette! 1ère partie

À peu près le 25 octobre

Après le chaleureux et confortable séjour chez Brian à Seattle (resto japonais, film Les Trois Amigos avec mon favori : Chevy Chase, feu près de la plage avec Jennifer…), nous quittons la ville par le traversier de l’Ile Vachon. Nous traversons l’Ile pour aller reprendre le bateau de l’autre côté. Je ris tellement de la prononciation des gens lorsqu’ils utilisent des mots français comme ambiance, Vachon, Quinault, hors-d’œuvre, manœuvre. Je ris beaucoup moins quand j’entends mon bon gros accent, wow! Francis est vraiment patient puisqu’il me corrige sans trop désespérer.
Avec le bateau, nous arrivons à Tacoma, une ville organisée en petits ghettos de riches qui se font construire des clôtures géantes pour restreindre l’accès aux seuls résidents. Avec les conseils d’une cycliste rencontrée sur le bateau, nous arrivons à rouler sur des pistes cyclables et des petites routes secondaires qui offrent un trajet plus agréable. On arrête pour la nuit dans un petit spot caché dans les buissons où tous les chiens de la ville vont probablement chier. Il fait assez froid et pour ne pas cailler dans not’e tente, on décide d’aller se boire un chocolat chaud au Brandy’s Pub, ou quelques choses du genre, que l’on avait croisé sur la route. La place me rassure dans mon idéal du rustique américain avec une ambiance pseudo-country renouvelée, avec des murs de faux-bois et des tables recouvertes de nappes carreautées en plastique. Les gens arborent le jeans stretch et la chemise originale bien insérée dans le pantalon, et se séduisent par un jeu de corps non-subtil autour d’une table de billard. En tout cas, le genre de place qui te change les idées.
Ensuite, le lendemain, nous roulons doucement vers Olympia, la capitale de l’État de Washington et une ville reconnue pour son côté alternatif (si je puis dire). Nous rencontrons des gens qui militent pour la paix depuis l’hiver dernier. Ces gens tâchent de sensibiliser des gens en brandissant des pancartes contre la guerre et les politiques de Bush au-dessus de l’autoroute 5. Nous allons visiter les parents de Irene, Richard et Ramona. Leur maison est progressive : le grand jardin, le compostage et l’étang gardé à l’état naturel. Après les black-outs qui se sont produits en Californie et des magouilles des compagnies, Richard a décidé de s’installer un système de panneaux solaires pour devenir de plus en plus indépendant des compagnies d’électricité. Malgré leur soixantaine avancée, ils ont pleins de livres sur les impacts de la mondialisation néo-libéraliste. Après une petite conversation en français avec la sœur d’Irene qui suit des cours, nous allons au Farmer’s Market de la ville. Là-bas, nous sommes emportés par une magie. Une dame nous offre gentiment un pot de confiture artisanal de la région et nous souhaite bonne chance pour notre projet. En achetant quelques fruits frais, la femme au comptoir me regarde droit dans les yeux. Après avoir regardé mon collier, elle me dit de manière transcendante que les pierres que j’ai portent chance lors d’une grande aventure. Un type de l’Équateur vient nous parler et nous donne des adresses pour l’Équateur. Il nous enveloppe littéralement de tout son énergie et s’emballe avec joie sur notre projet. Il nous parle de sa vie comme biologiste marine aux Galapagos et en Alaska, il nous raconte comment il a su se renouveler et changer au cours du temps. Il nous laisse riche et enthousiaste, débordant d’espoir et de vie. Et surtout, bien près à mordre dans l’aventure. Pour moi, j’ai quand même l’impression que ma vraie aventure, celle que je recherche pleinement, je vais la vivre plus au sud. Le Canada, les Etats-Unis, oui c’est l’aventure en vélo, mais le confort et la confiance de vaquer dans un milieu bien connu est encore beaucoup trop proche de moi.

Bris mécanique…merci Larry!

Toujours à Olympia, toujours la même journée. Je me rends chez un mécano parce qu’après avoir travaillé trois heures sur ma roue arrière pour la défausser, je réalise que malgré ma petite expérience en mécanique vélo, je ne suis pas capable de la rendre droite. Larry nous accueille donc dans son atelier et je lui demande son aide pour ma roue. Malheureusement, j’apprends que ma roue est plus malade que je le pensais. Un côté aurait reçu un coup, aplatissant une section de la roue. Donc, peu après le début du voyage, je me vois dans l’obligation d’acheter une autre roue arrière. J’espère que Bertrand, mon vélo, sera plus résistant pour le reste du voyage. Larry a été très gentil et nous a donné de bons conseils.

Le lendemain, nous partions avec un beau soleil vers la Péninsule Olympique; enfin une bonne distance pour se mettre en forme. La route 101 devient de plus en plus petite et nous voyons la mer à chaque tournant. Le côté est de la Péninsule est de plus en plus le paradis des retraités et l’on constate un attachement profond à la propriété privée. Je me trouve fortement agressée par cet accaparement du territoire qui laisse aux riches la belle vue sur la mer, l’accès à la plage, la forêt privé, la route privée et pour les autres rien du tout sans payer. En plus, cette possession est acquise et conservée avec agressivité, mais aussi respectée comme sacro-sainte et protégée par tout un système qui vise à maintenir le Juste ordre des choses. Partout où nous roulons, nous voyons des pancartes affichant Private Property, No trepassing, No camping, No walking, No breathing on MY property!

Nous cherchions un endroit où camper. Nous avons donc pris une petite route de terre parsemée par mes affiches préférées. La route débouche sur un vaste terrain. La première maison est entourée d’une clôture noire. Face cette maison et à côté d’un marais, cinq chiens enfermés dans un enclos aboient jusqu’à épuisement sur notre passage. Nous nous dirigeons vers la maison pour demander la permission de camper au propriétaire, ce qui nous apparaît qu’un détail. Pourtant, un homme nous approche avec un air définitivement contrarié. À la question « pouvons-nous camper? », un antipathique « I don’t think so » nous blesse dans notre douce innocence. Un peu abattu, nous allons frapper à l’autre maison plus loin sur le chemin. Celle-ci était mal entretenue et de la fumée sortait par la cheminée. En regardant par la porte, nous pouvons voir le reflet de la télé allumée. Deux vieux chars dormaient dans l’entrée. Après avoir frappé plusieurs fois, quelques bruits se font entendre, mais personne ne répond. L’on se retourne, et l’on regarde la maison voisine. Des carcasses d’autos traînent dans la cour et les fenêtres sont barricadées. L’on décide à l’unanimité de fuir cet endroit lugubre et malsain.
La nuit tombe et il nous est difficile de trouver un endroit, justement à cause des pancartes de propriété privée. L’on trouve finalement un lieu caché en forêt pour planter notre tente. Le lendemain matin, un homme nous interpelle. Avec notre bol de céréales en main et notre tuque, il nous pardonne notre incartade sur sa propriété. Il nous dit cependant une phrase assez pénible : « Vous, ça va. Mais moi je n’ai plus confiance en les gens. Vous savez pourquoi l’on vit aussi longtemps, c’est pour perdre toute notre foi en l’humanité. » Pauvre gars. Je ne voudrais pas être dans ses souliers. Comment peut-on finir par penser que le monde est peuplé de gens malhonnêtes, méchants et profiteurs. J’ai vraiment de la pitié pour ce type et son aptitude au bonheur. Je ne partage pas du tout ce désillusionnement aigu. Malgré toute la merde qui se brasse dans le monde, j’ai plutôt la conviction que toute cette souffrance est engendrée par cette minorité qui détienne tellement de pouvoir et d’argent, et de plusieurs autres qui suivent pour ne pas choquer leur propre intérêt. Mais, en dehors de ceux-ci, les gens ont ma confiance et mon espoir.