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5 décembre 2003
Sur la route du paradis : La légende du Big Foot

Rowan nous a fait un lift jusqu’à Redding parce qu’on ne pouvait pas rouler sur l’autoroute 5. Pendant que nous sommes dans l’auto, nous regardons la pluie tombée. Je me sens assez bizarre quand je suis en voiture. Le paysage bouge si vite que ça m’étourdit. Je vais m’acheter un nouveau pneu parce que le mien ressemble à un gruyère et on prend la route. Bien sûr, il pleut à boire debout. Au moins, le froid n’est pas si poignant. Nous entamons une montée dans un paysage magique. Lentement, en suivant la route sinueuse qui s’enroule autour de la montagne, nous pénétrons dans un nuage de pluie. Dans une interlude entre deux averses, les gouttes en suspension dans l’air se déposent sur nos cils et tous les petits poils de notre peau. Les parois de la montagne sont faites de sable aggloméré dessinant un mandala de sillons de plusieurs couleurs. Des arbres noueux et sans écorce font éclater à travers la grisaille une couleur oranger luisant sous la pluie. Je me perds dans le rêve de ce paysage magnifique, trempée jusqu’aux os, avec la seule chaleur de mes muscles qui se contractent sous l’effort de la montée.

En descendant la montagne, le froid du vent et de la pluie nous affecte vraiment. Françis tremble de froid. Nous devons nous arrêter pour camper. Nous allons demandé à des gens si nous pouvons nous camper sur leur terrain. On entend de nombreux coups de feu assez près de la maison, mais personne ne répond à la porte. Nous frappons à la porte de la maison plus bas. Le gars nous dit que ce n’est pas sa propriété, mais qu’il n’y probablement pas de problème. Nous plantons notre tente sous de grands arbres et tâchons par tous les moyens de nous réchauffer un peu en prenant garde de ne pas mouiller l’intérieur de la tente. Vers les six heures, il fait noir depuis longtemps. Un chien se rapproche de notre tente en aboyant férocement. Un homme se rapproche, il pompe sa carabine dans un bruit métallique et nous demande « What are you doing here? You are on a private property». On voudrait disparaître. On lui dit que le gars en bas nous a dit qu’on pouvait camper. Il braque son arme sur la tempe de Francis. Alors que je cris de toutes mes forces, le fou m’assomme avec la crosse de son fusil. Je retrouve conscience alors que l’on me tire par les cheveux sur le sol mouillé. L’homme barbu habillé de sa chemise de chasse me traîne jusqu’à son garage. Mon corps est gluant de sang visqueux et son chien me gruge la main pleine de sang qui gicle partout sur son char sale. L’homme se revèle à moi; il retire son masque et arrache violemment sa barbe de sa main droite. Monsieur Net se dévoile dans ses habits blancs et brillants fraîcheur citron. Je n’en peux plus de cette tache virtuelle, j’avale une bouteille de super nettoyant toujours plus propre que jamais. Le bonhomme repart sans avoir tiré une balle… Le chien aussi.

Le lendemain, quoi? Bien oui, il pleut encore. Il a plu toute la nuit passée. Je me lève avec les muscles des cuisses tétanisés et durs comme de la roche. La journée allait être pénible puisque nous avons plusieurs sommets à traverser. De la montée et de la descente, de la montée et de la descente. Je souuuuuuuuuuuffre. Chu devenue une moumoune (quel est le terme politically correct pour moumoune?) qui peut pu montée des côtes à une vitesse respectable. Je vois des failles qui grossir dans le béton de mes cuisses. À ce moment, des doutes montent à mon esprit : « suis-je vraiment Dieu ou pas? » Quelle innocence ai-je donc eu de mettre en doute l’inébranlable. Jusqu’à Willow Creek, nous suivons la rivière Shasta-Trinity à travers la chaîne de montagnes des Cascades. En arrêtant au dépanneur, nous apprenons que la pluie risque de se changer en neige au sommet de la montagne que nous venons juste de passer. Les risques de neige nous poursuivent donc au nord de la Californie. Nous rêvons de la côte. Plusieurs personnes nous ont dit que sur la côte la température serait beaucoup plus douce, sans possibilité de neige.

Cette partie du nord de la Californie est le royaume du Big Foot. Il y a le musée du Big Foot, des motels Big Foot, des restaurants Big Foot, des dépanneurs Big Foot, des magasins souvenirs Big Foot et des statuts du Big Foot dans toutes les villes. Je sais qu’une question brûle toutes les lèvres : «Pis, tu l’as-tu vu le Big Foot? ». Je vous répond, ben non ma bande de crédules, je vous enfonce une statut en bois sculptée de six pieds de hauts du Big Foot qui sourit dans votre oreille cachée. Y’a n’a pas d’ostie Big Foot! J’voudrais pas habiter là et devoir subir cette oppressante légende à moins de faire de l’argent avec le restaurant Big Foot ou autre chose. Ouais, bien je viens de comprendre ce qui font icitte ce monde-là!

Alors que nous pédalons, nous rêvons au paradis. Le lieu où il n’y aurait plus de pluies froides, plus de mains et de pieds glacés, plus de perma-drop et où le soleil brillerait. La perma-drop, pour permanent drop, est la goutte qui nous pend au bout du nez de façon permanente. Le vent chaud dans les palmiers, la mer où nous pouvons plonger et rafraîchir nos corps en sueur.

Body in the sand, tropical drink melting in your hand, we’ll be falling in love on the rythm of a steel drum band.
Bermudas, bahamas, come on pretty mama,
That’s where we wanna go,
Way down in Kokomo.

Au moins 100 points de mauvais karma.

Nous avions rouler depuis plusieurs dizaines de miles sans voir un site où nous pourrions camper. Puis, nous rencontrons sur notre chemin, ce merveilleux parc avec de beaux arbres. La pancarte dit 10$ US pour se camper. Nous n’avons pas vraiment assez d’argent avec un budget irréaliste de 10$ canadien par jour pour deux personnes. Hum!!!!!! Toujours bourrée d’idées machiavéliques, je propose à Francis un plan d’action au cas où des gardes nous surprendraient.

Le lendemain matin, nous nous levons assez tôt pour nous faufiler sans problème. Nous allions sauter sur nos montures lorsque les gardiens surgissent dans leur camion. La pluie est avec nous. Un fonctionnaire ne voudra pas sortir de son camion sous cette pluie pour venir nous réclamer! Nous partons à toute vitesse. Nous roulons depuis plusieurs minutes déjà lorsque le camion nous dépasse et les gardes nous attendent tranquillement au turn-out. On met le plan à exécution. Alors que le garde nous dit qu’on a pas payé, Francis me pose des questions en français et moi, je répète Can you repeat please? avec le plus terrible des accents. À force de faire les cons, le gardien a sourit. Il a pensé que nous étions de gentils innocents touristes français qui ne comprennent les pancartes. Rassuré sur de ce fait, il nous a souhaité bon voyage et nous a laissé partir sans payer. Avec ces 100 points de mauvais karma, je vais sûrement me réincarner en Big Foot.

Le patin artistique, c’est out!

Tout avait commencé par un matin normal. Il fait froid et il pleut. C’est notre quatrième jour et nuit de pluie. Elle s’infiltre partout et nous envahie lentement dans nos lieux secs. Les vêtements secs que nous gardons pour la nuit sont très humides et mouillés, les matelas de sol et la tente dégouttent et il n’y a plus qu’un sleeping bag qui est utilisable. Nous montons lentement le sommet de cette montagne dans l’averse lorsque tout à coup la pluie se change en grêle. Les grêlons tombent sur la route et rebondissent, s’accumulant sur nos gants et nos sacs. On s’arrête pour laisser passer des voitures qui nous dépassent. L’atmosphère est vraiment au ridicule. Qu’est-ce que nous faisons ici.

Je me souviendrai toujours du petit visage de Francis, me regardant par son capuchon monté jusqu’au nez pour protéger sa peau du pincement de la grêle. À travers mon capuchon, je le regarde et nous rions du ridicule de la situation. On doit crier pour s’attendre sous le bruit des petits glaçons qui tombent. Avec nos pneus semi-slicks, nous savons tous les deux que nous n’avons pas de traction pour rouler sur la pellicule de glace en formation. Même les autos qui nous dépassent peuvent perdre le contrôle n’importe quand. On se donne du courage, on s’embrasse dans cette grêle qui tombe fort et l’on repart. Au premier essai, mon vélo glisse à la renverse sur le côté. Je recommence et l’on arrive à avancer sur cette glace qui s’acculume et se mélange avec la pluie. Nous arrivons à l’autre côté du sommet, le corps alerte, nourri par l’adrénaline. Une pancarte indique une descente de 7 km. Par chance, la grêle se changeait en pluie et faisait fondre la glace. L’on descend avec nos mains et nos pieds qui gèlent complètement. On roule lentement parce qu’on gèle. À tous les cinq minutes, on s’arrête pour tenter d’envoyer du sang dans nos extrémités qui souffrent. On voit des petits bancs de neige sur le bord de la route. Après la descente, une autre montée se présente pour nous réchauffer enfin.

Puis, suit une autre descente de 7 kilomètres. Gelés et trempés nous arrivons à Blue Lake où nous tentons de trouver un café pour se réchauffer. La grêle recommence soudainement et nous décidons d’entrée dans cette taverne Logger pour se boire une pinte d’Alaska et bouffer notre plat aux lentilles frette à côté d’un poêle à bois. J’appelle Massi, mon vieil ami, pour faire ma montée de lait sur le fait que depuis deux mois il n’a rien fait sur le site, lui qui m’avait promis. Nous finissons cette longue journée à Arcata où nous montons la tente dans le noir à côté d’un marais.

Des rayons de soleil

Nous nous levons avec les rayons du soleil. Il a cessé de pleuvoir durant la nuit. On se déploit comme des fleurs dans le matin. Évidemment, j’ai un flat pour rajouter à ma joie. Le marais où nous avons dormi fait partie d’une réserve d’oiseaux et offre une zone de conservation assez impressionnante. Je pense à mon ornithologue préféré, Mr. Denault, qui serait bien jaloux d’où je me campe.

Des ornithologues ont déjà commencé à s’enfarger dans notre tente. Comme ils sont cool et assez relaxes, ils ne nous font pas chier et continuent plutôt de scruter attentivement les herbes longues à la recherche de merveilleux spécimens. On se détend, on va s’acheter à bouffer et l’on recherche un endroit où faire internet gratis. On trouve un petit café relaxe et l’on s’étend au soleil. Il y a plein de monde qui viennent jaser avec nous. On sort nos sleeping bags à saveur fromage bleu et d’autres pièces d’équipement pour les faire griller au soleil. J’enlève mes souliers et mes bas mouillés depuis cinq jours pour les faire sécher. J’écarte mes orteils sous les rayons et j’ai un orgasme. Le froid d’hier nous a réellement endommagé les pieds et nous avons des bulles de sang sur le bout des orteils. Maintenant, c’est du passé. Nous sommes sur la côte, au soleil, au paradis. En fin d’après-midi, je vais faire des recherches sur internet à l’université et en soirée, nous admirons des palmiers de Noël dans le parc de ville. L’on retourne finalement dormir illégalement dans notre marais favori.

Rock on Rio Dell

Le lendemain, on reprend la route dans une tempête de vent et de pluie qui en arrache. Nous ne pouvons pas nous parler à un mètre de distance tellement que le vent fouette nos oreilles. Le monde nous comprend pas. Plusieurs personnes s’arrêtent sur le bord de la route pour nous demander si nous voulons un lift. Merci! C’est gentil, mais nous allons en Argentine. Est-ce que c’est sur votre route? Non, si nous sommes en danger peut-être ou s’il nous est impossible d’avancer OK., mais nous devons bien vivre avec les éléments de la nature. Nous nous arrêtons pour prendre un café, notre source de chaleur et de réconfort par temps de chiotte. Puis, l’on reprend la route. J’ai souvent un petit sourire qui se dessine lorsque je prends conscience de ce que je suis en train de faire. Dans quelle situation je me place et je me complaît à vivre. Je trouve drôle de me sentir aussi vivante dans une tempête de grêle ou de vent.

Nous appelons Steve à Rio Dell, un type qui nous a invité chez lui lorsque nous traînions au café hier. Nous nous rendons chez lui, une petite maison avec une seule pièce qui est littéralement remplie de trucs en tout genre. Il ramasse des trucs partout et n’est pas capable de jeter. Il se retrouve donc avec 18 contenants de café en métal vide, trois boites de 48 rouleaux de papier de toilette, des colliers dorés et une machine hydraulique. Naturellement, il est toujours en train de chercher quelque chose. Moi qui ne suis définitivement pas ordonnée, j’ai vraiment pu constater que Steve avait atteint un stade permanent et malsain de chaos personnel.

Steve est un hippie passionné de la musique qui fait de la moto. Avec des jeans noirs et des bottes d’armée, il a l’air impassible jusqu’à ce qu’il commence à bouger. Il reste immobile pour un long moment puis, il se lève et bondit d’un coup pour aller chercher une bière par exemple. Francis et Steve ont joué de la guitare ensemble une bonne partie de la nuit. Steve avait l’air d’un adolescent se balançant avec la guitare électrique avec les yeux affamés et heureux. Moi j’ai joué de l’harmonica pour les accompagner. C’est bien cool, on a jasé pas mal. Steve m’a donné une coquerelle en plastique dont je suis tombée amoureuse.

Johnny

Nous reprenons la route dans un mi-soleil, mi-pluie. Nous avons appris que nous croiserions un cycliste qui devait nous rejoindre sur la route dans peu de temps. Johnny arrive avec son vélo qui tire un trailer derrière. Dans son habit de jogging tout mouillé avec son lecteur CD sur les oreilles, Johnny nous dit qu’il a bu un peu trop de bière la veille. Il avait décidé ne pas prendre la route à cause du mauvais. Nous roulons un peu ensemble, mais quoique bien surprenant, nous allons plus vite que lui et nous le dépassons rapidement. Nous aussi, nous sentons une mollesse du mollet à cause de la soirée avec Steve. Nous avons perdu notre Johnny après le lunch, une formidable sandwich aux sardines avec de la moutarde. Sur la route, je me perds dans mes pensées en regardant les grands Séquoias qui se dressent dans la pluie. Je regarde les grandes craques de leur écorce qui tournent lentement autour de leur tronc jusqu’à la cyme de l’arbre grandiose. Je pense à Julie, Pascal, Sam, Manu, Christian, Kim, Nico et mes autres amis de mon Bacc. en bio. J’ai vraiment passé du bon temps avec eux et ces années d’étude ont passé si vite avec ces personnes supra-méga-cool. Sous la pluie, nous avons dormi sur le bord d’un ruisseau sous l’abri d’un grand Séquoia passé Garberville.

Jesus loves you!

Toujours sur la route 101, nous suivons une rivière, plongeant dans le ravin et remontant la montagne. La forêt Redwood est somptueuse et on se sent comme des saumons fringants descendant des rapides. En manque d’eau, nous passons une cabane en bois exhibant une banderole où nous pouvions lire en gros Jesus loves you! Après avoir ri un peu, nous avons continué notre chemin pour demander de l’eau à la boutique de Big Foot en bois juste à côté. Puisqu’elle est fermé, nous avons rebroussé chemin pour demander aux Jesus loves you. La vingtaine de personnes qui se trouvaient dans cet endroit étaient tous à peu près de notre âge. Tout le monde avait l’air bien cools et sympatiques. Ils nous ont invité à partager le dîner avec eux. Cette maison hébergeait des jeunes de la rue qui ont des problèmes de consommation de drogues et qui veulent arrêter.

L’hébergement est volontaire, gratuite et les gens y sont solidaires. Nous avons parlé beaucoup avec Shet qui nous a un peu raconté sa vie. Il nous a dit qu’ici, il avait trouvé ce qui lui avait manqué, de l’amour. Il nous parlé que les gens ici étaient vrais, sincères et qu’ils sont ce qu’ils croient. Et ce gars, bâti comme une armoire à glace avec des petits dreds sur la tête et un caractère si doux, nous a raconté les périodes de sa vie où il se défonçait sur l’héro, où il perdait la tête. Il nous à parler de Dieu et ce qu’il changeait dans sa vie. Les larmes aux yeux, nous avons écouté en silence, les fois où il a failli mourir. Nous avons ri aussi lorsqu’il parlait de ses trips. Cette personne a vraiment touché mon cœur. Avant que nous partions, il a posé la main sur nos épaules et il a fait une prière pour nous.

Nous avons poursuivi notre route et laissé une note pour Johnny, puisque nous allions prendre la 1 et que lui restait sur la 101. Pendant que nous escaladions cette montée de 10 km sous des rassurants rayons de soleil, Francis et moi avons amplement le temps de discuter. Il me parle de sa famille, ses parents et ses deux frères, et de son expérience de bénévolat auprès des personnes handicapées en Suisse et aux Iles Canaries. Je trouve ça formidable le travail qu’il a fait. Il me parle des caractères des gens là-bas et de leur forte personnalité. Puis, nous arrivons au sommet et la pluie recommence. Sous les gouttes qui tombent, nous dévalons la montagne par une route sinueuse abritée par les arbres. Puisque la route tourne, nous devons prendre garde puisqu’il n’est possible d’entendre les voitures. Sous la chaussée mouillée, Francis glisse dans la boue et tombe sur le derrière. Heureusement, rien de cassé, seulement un peu plus de saleté.

La descente n’a jamais fini. J’étais sûre d’être rendu loin sous le niveau de la mer. Sous le crépuscule, nous sommes chanceux comme toujours, un parc magnifique de Séquoias géants nous attendait pour que l’on y plante notre tente. Il pleuvra toute la nuit. Au lendemain matin, nous allons marcher dans cette forêt avec ses arbres immenses. Je ne peux pas y croire, cette forêt est âgée de milliers d’années et si impressionnante. Nous apprenons que le parc est un restant de forêt qui a été laissé et créé comme un cadeau par une compagnie forestière qui a été des plus active dans la région. Cette petite forêt est le dernier restant de ce qui se trouvait dans la région auparavant. Cet artéfact forestier me laisse un goût aigre face aux valeurs qui motivent ce mode de gestion forestière. Faque en attendant que les compagnies forestières donnent des parcs de conservation en cadeaux pour servir la communauté au lieu de sauver des impôts, j’aime mieux mettre toute ma foi en Paul Martin, une grosse colombe qui est partie en voyage… puisque selon lui et bien d’autres, le libre-échange amènera la paix et la prospérité dans le monde.

J’ai une goutte dans l’oreille : ça flotte, ça flotte…

Nous arrivons sur le bord de la mer. Les vagues sont fortes. Il pleut en ta… pis y fait pas très chaud. J’ai tellement l’impression que je me répète à la fin. Je vais résumer ces jours désagréables : pluie, grisaille et vent de fou. Le paysage semblait magnifique, mais dans ces multiples tons de gris, je commençais à devenir vraiment frustré de manquer toutes ces beautés à cause du mauvais temps. Des plaines, des champs et des falaises coupant secs sur le Pacifique. Je m’imaginais à l’époque de la conquête de l’Ouest. Avoir une terre avec du bétail et vivre une vie de cow-boys. Des cerfs gambadent un peu partout. Je crois en avoir vu une bonne trentaine. Il y en avait tellement que j’en suis presque devenu blasée : « tiens, un chevreuil. » L’attrait du nouveau passe vite. Des cerfs! c’est out!

Je m’imagine le soleil, il me manque vraiment. Je ne pourrais pas vivre avec ce temps gris et cette pluie durant tout l’hiver. La pluie me rend mélancolique. Nous roulons lentement sous ce vent et nous devons nous arrêter pour prendre un café. Près de Westport, nous arrêtons dans un Bed & Breakfast pour prendre un café et se réchauffer un peu. L’endroit est ancien et chaleureux, il offre beaucoup de cachet avec un long bar en bois, et de grosses poutres où l’on peut voir les coups de haches. L’homme nous reçoit très gentiment et avec classe, et il nous offre une place auprès du foyer. Un camionneur s’arrête pour manger. Il est très sympatique et commence des discussions animée avec le propriétaire. Ces deux black american discutent vivement et rigolent. C’est tellement beau de constater cette différence dans l’attitude, cette façon si colorée de parler. Nous y passons quelques heures et nous retournons au supplice pluvial.

La route est faite de montées assez aigus et de descentes abruptes. Ce substrat est amusant, mais beaucoup plus épuisant. Vers les quatre heures, je n’en peux plus. Le vent souffle si fort que les gouttes de pluie me fouettent les paupières et m’empêchent de voir. Ça y est, je pète ma coche! On s’arrête donc sur le champ et l’on campe aussi sur le champ littéralement. Il a plu pendant quatre jours. Nous en sommes à notre dixième jour de pluie avec une seule journée de soleil. Et je crois qu’il faut réitérer le concept que l’on ne sèche pas et surtout pas les souliers, les cuissards et les gants. Mais comme vous le savez aussi, vos héros sont durs et forts comme le béton…

Gualala la la la la la la i ouuuuuuu!

Yaou! Depuis Point Arena, nous dandinons nos pédales grinçantes sur la route ondulée, style Ruffles qui ne répondent pas aux standards, avec un petit soleil qui réchauffe l’âme. Un gars qui entrait au restaurant où nous avons acheté un café, nous a promis au moins trois jours de soleil. Je fais sécher mes cuissards sur mon sac de guidon et mes gants sur mes poignées. Un cycliste nous accoste en roulant. Il s’en va à Palenque. Il n’est pas très chargé et après deux minutes de discussion, il nous quitte pour aller voir un match de basket dans un pub de Gualala. Ce personnage restera un quiz pour nous. Peut-être le croiserons-nous au Mexique. Nous dépassons Stewarts Point et le soleil se couche en brillant sur le Pacifique. Nous montons notre camp sur un terrain libre dans un angle que nous avons évalué à 45 degrés. Des moutons de l’autre côté de la rue bêlent et se rassemblent près de la clôture vis-à-vis de notre tente. Inquiets d’être repéré, nous devons leur crier d’aller jouer ailleurs. Cette nuit de pluie nous a rapproché jusqu’à ce que nous occupions un espace fort restreint dans le coin du bas de la tente. Le lendemain matin, nous nous levons avec le soleil rosé qui monte derrière la montagne. Les moutons de garde sont toujours occupés à brouter aux aguets.