1er
au 8 mars 2004
1er
au 4 mars 2004
La Paz
Nous allons toujours déjeuner au même area de comedores
en essayant d’apprivoiser une dame qui est plutôt froide.
Nous écrivons des articles en attendant de pouvoir rencontrer
le SINTTIM, un syndicat indépendant dans la maquila. On continue
à écouter nos soap-operas et à innover dans la
cuisine sur réchaud. On rencontre finalement le syndicat à
la Casa de la trabajadora y del trabajador. Ils sont près de
quinze quand nous arrivons. Puis, pour l’entrevue, ils sont à
peu près une dizaine (8 femmes et 2 hommes) qui nous racontent
des anecdotes en riant malgré la lutte qui est plutôt sérieuse.
Ils se sont tous faits renvoyés pour leur participation au syndicat.
Ça m’a beaucoup touché de les rencontrer et de les
voir souriants et heureux.
Puis, nous avons été invités par Jésus,
l’homme qui s’occupait des rénovations de l’hôtel.
L’homme est doux et sage. Il y a plusieurs années, il s’était
fait ami d’un canadien qui avait passé beaucoup de temps
chez eux et de ce temps passé ensemble, c’était
créé une belle amitié. Nous roulons avec lui en
Colectivo jusqu’à un quartier assez pauvre de la ville.
Leur maison est faite de petites cabanes ou pièces séparées
qui sont entourées par d’arbres fruitiers qu’il a
planté lui-même. Sa femme Rosa nous accueille, un peu plus
timide. Nous rencontrons aussi ses nombreux enfants. Puis, nous mangeons
et nous discutons pendant des heures et des heures avec lui et sa femme.
Il y a environ quatre ans, Jésus est tombé d’une
construction et s’est cassé le dos. Il a passé deux
longues et pénibles années cloué au lit sans pouvoir
travailler, sans pouvoir rien faire. Ses amis, ou ceux qu’il croyait
ses amis l’ont abandonné. Sa femme et ses enfants se sont
occupés de lui et dû subvenir aux besoins de la famille.
Lui, immobile et sans beaucoup d’espoir, serait bien mort de honte.
Sa façon de parler de ses émotions avec simplicité
m’a montré comment ce monde latin avait quelque chose que
nous n’avons pas ou que nous n’avons plus, la capacité
de s’ouvrir facilement sur nos émotions et de les exprimer
en toute simplicité. C’est aussi que beaucoup de gens ont
de la difficulté à écouter les confidences des
autres. Jamais je n’aurais pu rencontrer un Jésus au Canada.
Quelqu’un qui nous confie simplement, doucement et en toute confiance,
ses peines, sa détresse passé et son besoin de renouer
avec une amitié sincère. La famille a été
très accueillante malgré leur peu de moyens. Rosa a écrit
une lettre pour leur ami du Canada que nous ferons parvenir avec ma
mère.
6 mars 2004
La Paz-Mazatlan
Je
suis dans le bateau qui traverse de La Paz à Mazatlan. Ce matin
je me suis levée assez grincheuse parce qu’on n’a
bu des Ballenas avec l’anglais étrange. Un cycliste de
42 ans qui avait fait 200 km pour arriver à La Paz. Il n’arrêtait
pas de nous faire des commentaires sur notre « alcoolisme »
(qui est en passant inexistant- dernière bière datant
de 3 semaines) alors que lui se claquait 4 bières en moins de
une heure dans notre face. Donc, ce matin, après le défilé
de klaxon à 7h30 et le système d’alarme à
8h00 et Francis stressé à 8h15; oui, je me suis levée
moins de bonne humeur. Les deux fatigués et à fleur de
peau, nous avons reçu à obtenir une réduction de
50% du prix de notre billet en présentant notre projet. Cool
Raoul que les gens nous supportent!Nous avons enfourché notre
bike pour aller au bateau. Le trajet était long dans cet état
semi-comateux. En plus, je conduisais tellement mal. Je devais me concentrer
fort pour garder la route et ne pas prendre le champ. Arrivé
au port, nous voyons un gars avec son vélo. Il s’appelle
Nathaniel et il est très gentil. C’est un activiste du
bike (critical mass) et environnemental. Il vient de Eugene, OREGON
et il veut vraiment apprendre l’espagnol. J’ai un bon feeling
avec cette personne très similaire dans ces valeurs. On parlait
des États-Unis et de plusieurs autres trucs politiques. Pis merde,
il était vraiment sensé, sensible et sincère.
Moi et Francis avons marché sur le bateau comme si nous étions
saoul. En regardant sur le pont du bateau, des dauphins sautaient dans
les vagues. Je sens que nous franchissons une autre étape :
celle du continent. Nous sortons de l’isolement péninsulaire
et voici le Mexique brut.
7 mars 2004
On
est parti tous les trois en vélo pour se trouver un hôtel
où dormir. L’air est humide et l’on sent vraiment
les gouttelettes sur notre peau en posant le pied dans cette tropicalité.
Les arbres sont en fleurs et descendent comme des guirlandes sur les
murs de pierres. Nous croisons la plage. Francis a été
malade comme un chien, il a vomi toute la nuit. J’aime pas ça
le voir malade, je me sens impuissante. Ça m’affecte beaucoup
lorsqu’il n’est pas bien. Nous sommes dans la chambre avec
Nathaniel, partageant une intimité profonde à cette personne
que nous connaissons à peine. Je parle de saccades de diarrhées
désagréables que j’aurais aimé garder dans
le secret.
Journée molle. Pollo chile poblano. Soirée de discussion
sur l’activisme et surtout la politique américaine, le
Patriot Act, la répression anti-activiste et la fuite de Nataniel.
Il dit que ce qu’il fait est rendu trop risqué aux Etats-Unis.
Il a besoin de se faire des contacts. Pourquoi? Parce qu’il organise
et parle publiquement de ce qui se passe, parce qu’il sait plusieurs
choses que d’autres ne savent pas. C’est un autre type d’activisme :
celle de la conspiration mondiale. Bien que je n’adhère
pas à cette théorie, plusieurs éléments
qui mènent à penser à la conspiration sont réels,
c’est seulement la conclusion qui me laisse froide. L’équation
est trop simple. Je crois que le système est trop complexe. Je
crois plutôt en des convergences de pensées qui mènent
aux mêmes réalités mais qui ne sont pas relié
entre elles par d’autres lois, l’existence de relation positive
indirecte dont jouie le pouvoir mondial.
8 mars 2004
Journée de la femme
L’atmosphère
avec Nataniel avait changé ce matin. Il a décidé
qu’il ne viendrait pas avec nous en vélo. Nous sommes allés
déjeuner et nous avons acheté quelques trucs au marché
pour être prêt à partir. À la recherche de
démonte-pneu que Francis venait de casser, nous traversons Mazatlan.
Nous continuons sur la route vers Tépic. Ce paysage est riche
en eau et en verdure, comparativement au désert de la Baja California.
De chile poblano en chile poblano, nous faisons voler les kilomètres.
Nous passons un cirque avec le drapeau français. La route est
belle et on sue comme ce n’est pas permis. J’ai des traces
de sel dans le dos.
Plus tard dans journée, nous voyons un camion jaune et un 4X4
arrêter derrière lui. Deux femmes nous approchent et tentent
de nous séparer Francis et moi. L’une d’elle prend
ma main et commence à m’ensorceler en criant de sa voix
étourdissante, elle me dit mon passé et mon avenir. Elle
porte une longue robe, avec son paquet de cigarette dans sa brassière
et son sourire aux trois dents de plomb.
Pendant ce temps, un jeune garçon tentait de voler dans les sacs
de Francis. Francis essait de me dire que nous devons s’en aller.
La femme continue de parler de façon ininterrompue. Puis, elles
me demandent ce qui me fait peur dans ma vie. Elle me le demandent trois
fois, me regardant droit dans les yeux. De moi-même, que je lui
répond. La gitana n’a pas su quoi dire, elle m’a
demandé de mettre une pièce de monnaie dans ma main pour
qu’elles puissent me dire moi avenir. Alors, je n’ai pas
été trompée par son jeu et nous avons fui au plus
vite.
Le soleil se couchait et nous avons croisé trois fois leur troupe
de gitans. Un peu dans le doute et la peur qui grandit comme les ombres
sur la route, nous décidons de chercher refuge dans un ranch
où le ranchero, son épouse et leurs enfants nous reçoivent.
Concha nous prépare à manger des chorizos et nous passons
la soirée à platicar, à jaser des gitans, de la
famille et de la région et d’un couple de cyclistes français
qui ont dormi sur ce ranch il y a une quinzaine de jours. Nous les rejoindrons
peut-être au Chiapas, leur destination. Après avoir écrit
ces lignes, j’ai essayé de dormir. Il faisait tellement
chaud et humide. Puis, la revanche de Moctezuma m’a frappé
comme un éclair. J’ai eu une tourista virulent qui m’a
rappelé humblement que je n’étais fait que de boyaux.
Même le lendemain matin j’étais encore malade. Pas
question de prendre la route avec mon air cadavérique. Nous sommes
donc resté au ranch. Iris, la petite de 5 ans, et Francis m’ont
tenu compagnie. Francis m’a joué de la guitare.
Pour dîner, Concha, bonne amie et gentille maman, m’a offert
un caldito (bouillon) et des pans dulce cuit sur les braises. J’ai
dormi, j’ai assisté à la destruction d’une
pinata rose par les enfants (Orlando, Iris et Francis) et j’ai
jasé avec Concha dehors sur la ferme. Ces sœurs habitent
Tijuana et ça fait 8 ans qu’elle ne les a pas vu. Elle
m’a dit que son mari, Christian, ne lui permet pas d’aller
les visiter. C’est une brave femme et j’aime son attitude
relâchée avec les enfants. Nous avons encore soupé
avec la famille, des chilaquiles avec fromage et crème fraîche.
On a parlé encore jusqu’à 8h et Buenas noches la
familia.
Chile
poblano : le poids de la vérité.
Échoué,
inerte sur l’asphalte dure, brûlante et stérile du
printemps sinaloanien, Beto repose à demi-conscient. Il n’a
jamais choisi cette situation. Il avait toujours été libre,
sous la brise, sous le soleil et sous la pluie. Puis, le malin l’a
dérobé de ses sources et de ses racines. Le géant
du mal, porter par ses passions cannibales à couper la tige qui
lui donnait vie. La fraîcheur de sa jeunesse et l’amour
maternelle a pu le protéger de l’agression, de la faim
et de l’aridité. Maintenant, il sent sa ténacité
l’abandonner alors que les grains de sables s’écoulent
dans l’étranglement du sablier. Les images de ce qui s’est
passé restent gravé dans sa mémoire. Dans son découragement,
il s’imagine bien finir sa vie et pourrir ici. Avec un peu de
chance, d’autres comme lui prendront sa place dans le cycle infini
de la vie et sauront être aussi heureux qu’il le fût,
il y a quelques heures à peine.
Je passe en vélo et je vois Beto, gordito chile poblano. Il me
paraît vert et croustillant. Je lui demande ce qu’il fait
sur le bord de la route. Il me dit qu’il a réussi à
sortir du camion des immondes qui l’ont dérobé à
sa terre natale. Il me suggère de le laisser mourir, qu’il
n’a pas la force de continuer. Je reprend la route et à
cent mètres, je vois un piment vert, puis un autre, puis un autre.
Dans les jours qui suivirent, j’ai dû saluer plus d’un
millier de Chile poblano. Puis, après une siesta, au moment de
reprendre la route, j’ai eu la réponse à l’énigme.
J’ai vu le camion rempli de chile et sous une déformation
de la route, un piment frais est sorti.