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29 mai 2004


On a mis des bâtons dans ma roue
29 mai 2004

On commence la journée avec des sincronizadas de quesillo (Oaxaca, la Mecque du fromage à quesadillas). Nous reprenons la route qui s’élève toujours plus haute. On croise un homme à machete qui nous parle de la route qui monte encore et encore. À chaque tournant, on voit le prochain tournant qui se trouve à cinquante mètres plus haut. On pousse un soupir de découragement en voyant cette mission impossible. Puis on continue à pédaler et on se retrouve toujours et encore plus haut. On regarde en bas et la courbe que nous venons de passer est tellement basse. On ne connaît pas notre altitude, mais je peux facilement dire avoir monté comme je ne l’ai jamais fait dans ma vie. On remplit les bouteilles d’eau d’une cascade qui coule de la montagne et on mange un elote (épis de maïs) dans le village de Porvenir en regardant les petites maisons accrochées à la montagne, à côté de la plantation de café. Pendant que Francis retourne en quête d’une bouteille qu’il a perdu, je parle à Justina, une femme d’environ mon âge. Elle me parle de son travail qu’elle décrit comme moudre le maïs, préparer le bois pour cuisiner et laver la maison. Le temps ne passe pas de la même façon ici. Le travail n’a pas le même sens non plus. Il n’est pas d’un point de vue individuel, ni pour un salaire; il est pour la communauté et son bon fonctionnement.

Nous continuons notre route jusqu’à ce que la faim nous dévore. Après une tortilla espagnol, nous grignotons sur la route en montant toujours. Nous sommes rendus à un autre 20 km de montée lorsque notre symbole préféré apparaît : la petite auto sur une pente descendante. Nous freinons presque tout le long à cause des courbes trop dangereuses. Avec la vitesse de descente, je commence à entamer la montée qui vient, mais je pédale dan’l’beurre. Rien à faire, il n’y a plus de tension sur la chaîne et mes petites pattes bougent vite, vite. Le problème est dans la cassette qui vient juste de lâcher. On fait du pouce parce qu’on ne peut plus avancer. Un bon vivant, vendeur de fruits et légumes, s’arrête tout de suite pour nous prendre. Il nous avait déjà vu sur la route et il est bien content de nous aider. Il nous offre des bananes rouges de la sierra. On se mord les lèvres. Il ne nous restait que 10 km de montée.

Nous quittons donc notre idylle, paradis de fraîcheur et passons en camion les plus merveilleux paysages que la vie peut offrir, avec une vue par-dessus les nuages. Nous passons San Miguel et San José del Pacifico, de petits villages de gens souriants avec les chèvres, les dindons, et les vaches, des femmes chargées de paquets de bois, des beaux enfants encore libres, des pins tortueux et des églises lumineuses. La descente se fait sur plus de 50 km jusqu’à la ville de Miahuatlan qui se loge dans le plat de la vallée. Le camionneur nous dit qu’au centre-ville nous trouverons probablement un mécanicien pour nous aider. On décharge les vélos du camion et l’on marche jusqu’au centre-ville pour se trouver un hôtel où dormir. La ville n’est pas touristique. On le sait parce que les gens nous saluent, ils sont accueillants et les prix ne sont pas chers. Je me meurs de fatigue après cette dure et longue journée que je termine avec un chaud atole (boisson crémeuse et sucrée au maïs) avant de faire dodo.

Le lendemain, 30 mai, par un effet de la magie, mon vélo fonctionne. Nous trouvons quand même un atelier de réparation et le type paraît sympathique. Sa petite fille de quatre ans joue avec les outils pendant que lui regarde la pièce de ma roue en tâchant de garder son sang froid. J’ai bien vu dans son attitude qu’il ne savait pas trop. Visage impassible, il défait les parties, puis il le regarde essayant de se souvenir du bon ordre et de penser à ce qu’il peut faire ensuite. C’est lorsqu’il a plongé le corps de la cassette dans la gazoline en affirmant qu’il ne s’agit d’une seule pièce que nous avons décidé d’aller faire réparer à Oaxaca. Nous reprenons la route et arrêtons se faire fourrer par une grand-mère à l’air innocente. Par fourrer, je ne veux pas dire dans le sens de… On se comprend! Dans le sens de charger trop cher. Je vais finir par croire que les grand-mères sont toutes les mêmes icitte!

Après de nombreux coups de pédale sur le corps ondulé des vallées Oaxaqueniennes, fortes en couleur orange brûlé, gris et vert kaki, nous nous consolons un peu de la perte de nos belles montagnes que nous étions loin d’être prêts à quitter. Nous finissons par demander à des cultivateurs si nous pouvons dormir à côté de leur milpa. Ils nous y invitent et nous discutons avec la femme et ensuite l’homme qui est garni de l’accent du type bien relâché, avec sa chemise sortant par son zipper de pantalon bien ouvert. Malgré la distraction, nous parlons de sujets forts intéressants et son accent nous fait constater que nous avons grandement amélioré notre espagnol.