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31 mai 2004


Ils ont pris Oaxaca!
31 mai 2004

On arrive à Oaxaca, superbe ville coloniale, de façon triomphante. En s’accrochant la tête dans des cordes, passant dans les rues bondées de gens assis, couchés sous des barges de toutes les couleurs. La ville est occupée et le Zocalo est saturé de gens. Nous arrivons au bon moment! On s’informe. C’est une occupation qui dure depuis plus de 15 jours. On parle avec des occupants sur les raisons de leur présence devant le Palacio del Gobierno. Nous tentons de rencontrer le syndicat dissident des enseignants et professeurs de l’État de Oaxaca. Nous allons laisser les vélos dans un lieu sûr, c’est-à-dire au Refugio, un rassurant hôtel de passe, cette fois avec des draps apparemment propres pour faire différent. Avec débrouillardise, on réussit à rencontrer le représentant du syndicat pour Prensa y propaganda. Cette entrevue ne nous a pas donné la passion pour leur cause. En tentant d’être concis, l’homme d’expérience en propagande nous a parlé pendant plus d’une heure et demi de structure organisationnelle et de détails que l’humain normal ne veut pas connaître. En aucun cas, il a été capable de bien justifier leurs demandes, tournant principalement autour d’exigences par rapport aux conditions de travail. Cette expérience confirme mon allergie à la propagande. *(Suite à une relecture de ces écrits, j’ajoute qu’il n’y aura pas d’article écrit sur cet événement.) Cette occupation de résistance a réuni près de 5 000 professeurs. Nous avons parlé à différentes personnes qui étaient présentes et leurs visions, quoique différentes entre elles, s’objectaient à la privatisation de l’éducation et à la réforme éducative présentée par le gouvernement. La réforme consiste en gros à couper les cours d’histoire, géographie et de sciences sociales et humaines pour les remplacer par des cours d’anglais, d’informatique et de gestion. La grosse tendance éducative mondiale qui vise développer l’essentiel de la nature humaine, le Homo economicus. Le lendemain, nous allons à leur manif sous un déluge de pluie, pour prendre des photos que nous les enverrons au syndicat.

En cherchant le bureau de l’oncle à Francis, le fameux Pépé, nous rencontrons Marcial du D.F. qui vit maintenant à Oaxaca. Il nous invite à prendre un café et on jase un peu de nos aventures et lui de ses nombreux voyages.

La ville est superbe avec ses trottoirs, ses rues, ses murs de pierres et ses maisons de crépis de toutes les couleurs. Le ciel paraît plus palpable ici. Plus bleu, plus vrai ou plus fâché. Francis a un peu la déprime et des questionnements sur le voyage. Moi, je suis excitée par l’activité dans la ville. Nous voyons l’occupation par le Consejo Indigena Popular de Oaxaca devant le Palacio del Gobierno faisant un peu contraste avec le reste des occupants du Zocalo. C’est un groupe que l’on avait trouvé sur internet mais, qui paraissait un peu trop gros et visible pour le type d’organisation que nous visions. On jase avec Leonora & Reyna qui nous parle de la structure et de l’idéologie libertaire qui nous plaît bien. Elles nous invitent à venir rester à la maison qui sert d’office à Santa Lucia del Camino, un village à côté de Oaxaca. L’organisation subit une escalade de répression par le gouvernement qui crée des mandats d’arrestation pour plusieurs membres du CIPO de délits qui n’ont jamais été commis mais plutôt construits. Certains membres se sont fait emprisonner et la répression augmente. Certains ont failli se faire assassiner plusieurs fois déjà. Alors, notre présence assure aussi un peu de tranquillité. Nous arrivons en soirée et la garde nous ouvre la porte de métal. Chaque semaine, deux personnes du même village viennent s’occuper de la maison. Ils ont la responsabilité de faire la bouffe, de nettoyer, de répondre au téléphone et de garder les entrées et les sorties. Au début, nous entrons et pratiquement personne ne nous parle. Le local éclairé par des néons, le plancher de tuile blanche, le tableau avec les gribouillages des projets en cours, le bureau de travail et quelques bancs d’élèves en bois, tout cela ne nous met pas à notre aise. On parle un peu entre nous : ‘Qu’est-ce qu’on fait?’ ‘ Ché pas.’ Puis, un homme de San Isidro nous parle de ce qu’il vient faire à la maison du CIPO : un projet de rénovation du réseau d’eau potable pour le village. Ainsi, les gens commencent peu à peu à nous parler. Les gens proviennent de villages différents mais aussi de peuples assez différents qui ne connaissent pas nécessairement la culture et la langue de l’autre. Ils se parlent donc entre eux en espagnol. Dehors, il y a la cuisine improvisée au toit de tôle retenu par des bâtons de bois. On boit un bon café chaud et l’on mange un peu. Simon nous parle de Yaviche et des attaques armées qu’il y a eu et des trois balles qu’il a reçu dont une est encore logée dans son dos. Après, une petite fille hyperactive du nom de Gabi vient nous parler du CIPO et des différents projets dans les trente villages. Le sommeil nous gagne de rencontrer autant de gens. On va se coucher vers minuit, par terre, dans la chambre des communications. Les gens continuent les réunions jusqu’à très tard et vers les huit heures du matin, la construction commence au deuxième étage. Les gens qui dormaient sur les nattes et sur les bancs se lèvent. L’on voulait aller à San Isidro en premier lieu mais, suite aux pluies, le téléphone a coupé et les gens sont tous allés semer la milpa qui avait tardé. Alors, à moins d’attendre quelques jours pour savoir ce qui se passe, nous avons décidé d’aller à Yaviche. Donc, à notre quatrième journée au CIPO, à se sentir un peu dans les jambes de tous les projets qui s’organisent (préparation d’une rencontre des peuples indigènes à Puebla, réunion entre le CIPO, Union Hidalgo et Tres Poderes), nous partons enfin pour Yaviche.

Finalement, nous quittons Oaxaca avec Pedro et Mirna, les deux gardiens, que l’on rejoint à la station centrale d’autobus. Dans le fond de la station se trouve le bus qui va jusqu’à la Sierra Juarez, dans la Sierra Norte de Oaxaca. Nous commençons notre aventure en direction du village où les gens sont supposés nous accueillir pour le temps que nous voulions. Nous avons décidé de partir cinq jours, ce qui n’est pas trop long et pas trop court. Dans l’autobus, Francis et moi sommes un peu nerveux. La vie nous mène comme si nous rêvions. Aujourd’hui nous vivrons avec des gens qui ont une culture et une façon de voir le monde bien différentes de la nôtre. Notre premier choc culturel se produit au restaurant où l’autobus fait un arrêt pour permettre aux voyageurs de manger. Pedro s’assoit à une table, Mirna et son amie à l’autre et, ils nous laissent manger seuls à la grande table que nous avions choisie pour tout le monde. Nous ne comprenons pas pourquoi mais se sont de petits détails qui nous montrent l’étendue de ce qui n’est pas visible.

Le trajet de bus dure un bon sept heures et passe par des chemins non pavés, boueux et à flanc de montagnes. Sous la pluie diluvienne, l’autobus avance lentement en évitant un arbre tombé et des glissements de terrain. Je pense à ma mère que j’aurais du appeler avant qu’il ne soit trop tard. Les gens de l’autobus ne sont pas en train de gémir de peur, ce qui me rassure. Je suis aussi absorbé par les fougères incroyablement belles et diverses que l’on croise en bordure de falaise. À chaque village que nous passons, nous nous disons : «Ça doit être ici!» Mais non. C’est toujours plus loin et plus creux. Nous arrivons assez tard et Pedro s’occupe de nous. Par de petits sentiers pédestres bordés de fleurs et de plantes nous nous rendons jusqu’à sa maison fait de briques cuites au soleil qui donne une couleur orangée se fondant dans son environnement. La nuit se fait noir et nous ne voyons plus les montagnes. Nous sentons seulement cet air pur qui est embaumé de parfums de fleurs et de terre humide. Dans le néant, on voit une constellation de lumières, comme pendue dans le nul part. Elles proviennent des maisons du village voisin. Pedro nous introduit à sa femme Francesca qui parle très peu espagnol mais bien zapothèque. Pedro, avec ses soixante cinq ans, vigoureux avec des yeux rieurs et un nez rouge, nous invite à venir manger. Francesca nous sert le café dans un bol de terre cuite. Elle nous offre des pains et des tortillas géantes sans dire grand chose. Du feu de braises qu’elle garde bien chaud, elle nous apporte une soupe. Les tortillas sont particulièrement bonnes et faites à la main de maïs jaune-rouge. Ils quittent la pièce et vont discuter des nouvelles de la ville et du CIPO, assis sur la véranda. Ensuite, Pedro nous invite a allé se coucher chez sa fille, la voisine. Nous dormons sur une natte à même le sol. Tout le monde rit avant de se coucher. Eux, la mère et ses deux jeunes fils, dorment trois dans le même lit et rigolent, ce qui nous fait aussi bien rire.