Accueil --> Français --> Journal de bord

 

5 au 11 juin 2004


Rencontre au
torréfacteur de café

5 au 11 juin 2004

Nous nous levons de bon matin et sortons de la maison de la fille de Pedro située à quelques pas de sa propre demeure. L’endroit est si verdoyant. Le vert des plantes et des arbustes est éclatant; les plantes grimpantes à grandes fleurs fushias, des arbres à clochettes blanches et des tonnes d’autres de différentes tailles, couleurs et odeurs. La vue sur les montagnes est hypnotisante. Je ne sais pas à quelle hauteur nous sommes mais, les montagnes s’étirent loin, recouvertes de forêts et de cultures. Francesca nous invite à manger et nous entrons dans cet âtre où elle fait chauffer le café noir additionné de panela sur feu de bois. Sur une plaque concave, elle chauffe les tortillas. Pedro nous quitte pour aller travailler à la milpa. Nous restons avec Francesca qui parle très peu espagnol et tentent de nous apprendre des mots en Zapothèque selon les questions qu’on lui pose. Au-dessus du feu, il y a des tubes enveloppés de feuilles qui sont placés pour rester au sec. À l’intérieur de chaque tube se trouve la panela, une brique formée par la cuisson du jus de la canne à sucre, qui est la source de sucre des gens d’ici. Pedro nous disait que cette forme de sucre est beaucoup moins dommageable pour eux que le sucre que nous connaissons.

Nous allons ensuite marcher dans le village pour connaître un peu. La majorité des maisons sont faites de briques de terre cuites au soleil avec un toit de tuile, donnant un charmant singulier au village. Nous rencontrons pleins de monde en marchant par les petits sentiers de terre, passant dans la cour des gens. Pendant que nous parlons à des enfants, des femmes passent et nous font signent de les suivre. Arrivés devant l’entrée de l’église, nous ne pouvons nous esquiver. Nous voilà donc dans l’église Apostolique de la foi en Jésus Christ. Après une couple de tounes joué par le band, nous avons pu nous faufiler à l’extérieur. De fait, il y a trois églises dans le village de huit cent personnes. Plusieurs personnes à qui nous avons parlé, ont évoqué le problème des sectes venant dans les communautés indigènes. La grande majorité proviennent des États-Unis et celles-ci arrivent dans les villages éloignés pour propager leur foi. Alors qu’avant à Yaviche il n’y avait que l’église catholique qui réunissait tout le monde sous une même croyance, qui est aussi fortement imprégné de leur identité culturelle et de leurs traditions plus anciennes; aujourd’hui le village est davantage divisé. La division apparaît lorsqu’une autorité religieuse remet en question la manière de vivre de la communauté. À Yaviche, les autorités religieuses de l’église Apostolique de la Foi en Jésus Christ condamne les actions du CIPO et des membres de la communauté qui réclament justice dans l’affaire des attaques du 16 octobre. Ils proclament que ce n’est qu’à Dieu de faire justice. Ils vont donc voir les blessés et la famille du mort pour leur dire de pardonner.

En allant s’acheter des brosses à dents, la famille du dépanneur nous invite à discuter dans la maison. Nous expliquons notre voyage et ce que nous venons faire dans leur village. Ils nous parlent ouvertement de ce qui s’est passé lors des attaques du 16 octobre 2003. L’homme âgé et marchant avec une canne nous dit qu’il ne fait plus partie du CIPO à cause que ça lui exigeait trop d’aller dans des marches et de faire des occupations.

En fin d’après-midi, les nuages de pluie envahissent la vallée et l’eau se met à tomber comme un torrent. Les petits chemins deviennent très glissants et presque impraticables. La pluie cesse pour nous permettre de descendre à la réunion du CIPO avec Pedro. Nous descendons avec des lampes de poche jusqu’à la maison de torréfaction de café, un des projets réalisés avec le Conseil Indigène.

À la lumière vacillante, plusieurs hommes et quelques femmes (certaines n’étant pas présentes) commencent la réunion; certains assis sur des bancs, d’autres sur des poches de café et quelques-uns debout. Dans la fabrique, les gens discutent en zapoteco. Après un bon moment, ils nous demandent de nous présenter et de dire ce que nous venons réaliser à Yaviche. Ils sont bien heureux que nous soyons là pour se rendre compte de ce qui s’est passé au village et de bien vouloir diffuser l’information. Ils nous expliquent la situation en générale et nous invitent à rencontrer d’autres gens qui étaient présents lors de l’attaque. Puis, ils continuent la réunion dans leur langue.

Ensuite, Pedro nous dit de suivre Flavio, un homme d’une soixantaine d’années qui est paraît quarante et qui nous entraîne jusque chez lui dans la noirceur. Nous apprenons rendu là-bas que nous dormirons à sa maison. Nous discutons un long moment de la situation avant les attaques et nous posons des questions sur la vie dans le village.

Comme Pedro, Flavio nous laisse seuls pour manger. Nous devons adopter des techniques de réduction de l’apport alimentaire. Je m’explique : à chaque repas, l’on sert une pleine portion et après quelques temps, l’on revient remplir notre bol à ras bord une seconde fois. Alors qu’on est bien plein avec la première portion et les délicieuses tortillas, la seconde vient nous gaver comme des oies. La technique est donc de réduire la quantité de tortillas mangées et de ne presque pas toucher son bol au premier service. Le problème est que la nourriture est excellente et presque purement végétarienne. Tous les ingrédients (ou presque) sont cultivés sur place. Chaque maison a ses poules, son petit jardin d’épices, ses poches de café et son maïs rougeâtre. Ces grains rubis sacrés sont engrangés directement à l’intérieur de la maison dans un énorme panier tressé et serviront de provision pour l’année. L’alimentation est évidemment basée sur le maïs et les fèves noires. Autant ils ont gardé la tradition pour les cultiver, autant ils l’ont conservé pour l’art de les cuisiner. C’est seulement que les fèves noires ont des impacts pour ceux qui ne sont pas très habitués d’en manger.

Après le succulent repas, Flavio nous montre ce qui sera notre lit pour le reste de notre séjour. On dort bien. Il fait frais et le bruit régulier de la pluie qui tombe sur le toit me fait dormir. Sauf qu’à cinq heures du matin le chauffeur de l’autobus qui part à Oaxaca presse son affreux klaxon à réveiller les morts. Ensuite, il y a quelques pétards qui sont lancés on ne sait pas pourquoi.

Chaque matin au réveil, je m’habille et je sors dehors pour regarder les montagnes et respirer l’air frais. Le ciel est pur et bleu. Le 7 juin, nous passerons la journée principalement à la maison de Flavio. Il y a Jocelyna, une petite fille tellement jolie avec ses grands yeux noirs et ses petites joues. Nous jouons un peu ensemble. Les trois femmes, c’est-à-dire l’épouse de Flavio, sa fille et la femme du fils, passent presque tout leur temps ensemble à discuter et à rire. On joue avec la petite fille, on fait le lavage, on fait le nettoyage de la maison, on cuisine, on va chercher le bois pour le feu et s’occupe des poulets et des dindons. Voilà un peu comment elles occupent leur journée. Contrairement à d’où je viens, ici les gens ont le temps d’être ensemble. Je vis péniblement avec le souvenir de ma vie à Montréal où il est difficile que le temps existe pour que je voie mes amis et ma famille à cause de nos vies trop occupées. La vie à un sens bien différent ici. La convivialité est une racine bien profonde.

Je ne sais pas bien comment exprimer ce que j’ai vécu là-bas mais, c’est assez fort. Je pourrais encore parler des détails de la vie là-bas mais il y a cette différence de vision et d’approche au monde qui m’a vraiment ému. Bien que je ne sois rester que très peu de temps, j’ai réellement senti une conscience des autres ainsi qu’un sens des responsabilités et d’engagement envers les autres et le monde en général. Par leur tradition de tequio, de guetza et selon leur usos y costumbres (voir article de Yaviche qui a été écrit avant ces quelques notes). Il y a beaucoup de gens d’où je viens qui on une conscience limitée du monde qui les entourent, ça touche beaucoup de choses comme le but dans la vie, la manière de parler aux autres, de faire attention à l’environnement et de savoir ce qui se passe dans le monde. C’est très large. Ce n’est pas seulement penser qu’à son propre intérêt. J’ai vraiment senti une petite douleur au fond de moi parce que je sais que même en tentant de recréer des liens de solidarité dans ma communauté, il y a quelque chose qui a été perdu.

En tout cas, sans penser que cette société est parfaite, je crois que j’ai énormément à apprendre de ces gens. Je sais très bien que je ne pourrais pas refaire ma vie dans le village, bien que peut-être pour quelques années. Cependant, je sais bien je viens d’un autre monde et que quelque chose finirait par me manquer.

Ainsi, en cette journée du 7 juin, nous avons tranquillement commencé l’article sur Yaviche et nous avons mangé comme ça ne se peut pas. Nous avons aussi participé au réchauffement de la planète avec les tonnes de fèves noires que nous avons mangé. On est sûr que les gens du village doivent trouver que nous avons une mauvaise odeur. Pour le moins, les jolies orchidées cueillies dans el monte camouflaient de leur parfum nos horribles fuites de gaz. Pour bouger et faire dégonfler notre balloune, nous marchons vers le haut du village par les petits chemins escarpés. Nous croisons des hommes qui nettoient leurs cafetales en coupant les herbes du sol. Nous montons donc jusqu’à la route qui passe dans le haut du village et prenons des photos regardant les nuages de pluie s’approchés.

Comme future écologiste, j’aurais vraiment joui de pouvoir aller marcher dans leurs forêts. Par contre, ce ne fut pas possible à cause de la surveillance de la forêt. En effet, un homme de la communauté à la charge de veiller à ce que personne ne vienne dans les forêts de la communauté. Après avoir surpris un scientifique anglais à faire de la bioprospection sur leur territoire, ils ont décidé d’employer cette méthode. Il leur avait dit qu’il cherchait à faire des médicaments et qu’il reviendrait leur présenter les résultats de ses recherches. Il a pris les spécimens et n’est jamais revenu. D’autres gens encore peuvent venir couper leurs arbres. Il y a donc une gestion forestière assez élaborée et contrôlée par un système de règles complexes. Par exemple, quelqu’un qui veut couper un arbre doit demander la permission à un conseil et payer une charge à la communauté. Cependant, tout le monde à une parcelle de forêt où ils peuvent couper le petit bois pour faire la cuisine.

Suite à la réunion avec le CIPO, quelques personnes devaient venir nous rencontrer pour réaliser une entrevue formelle durant laquelle nous pourrions enregistrer. Cependant, à cause de la pluie à tous les soirs, personne ne se déplace et la réunion s’annulait chaque fois. Nous avons donc décidé de rencontrer les blessés et d’autres gens qui possédaient des pièces d’information importantes à rajouter au casse-tête des événements. De plus, les autres jours qui ont suivit, une personne venait nous chercher le matin pour nous amener déjeuner à sa maison et nous offrir à manger pour les repas de la journée. C’est un moyen pour distribuer la charge des invités sur la communauté. Pour nous, ce fut une bonne occasion pour rencontrer des gens et de connaître où ils vivent.

La première famille est celle de Pedro. Pour la seule fois du séjour, nous avons mangé avec nos hôtes, probablement aussi à cause que la table pour manger faisait partie de la cuisine. Pendant que sa femme nous faisait des tortillas, Pedro nous pose pleins de questions sur la possibilité de se faire beaucoup d’argent à travailler au Canada. Sa femme lui parle en zapoteco et lui nous traduit les questions en espagnol. Chose particulière, nous apprenons qu’elle parle bien espagnol lorsque nous la retrouvons sans son mari au moment du dîner. En effet, ici les gens ne font vraiment pas beaucoup d’argent annuellement. La seule source monétaire est la vente du café dont la valeur actuellement permet de recueillir 6 000 pesos par année, c’est-à-dire environ 600$US (selon nos calculs). Il ne faut pas oublier que le prix du café a déjà été beaucoup plus bas, ne payant pas les coûts de production. Cet argent est donc très faible lorsqu’une famille fait face à des imprévus comme les maladies ou encore pour payer des produits de l’extérieur comme une bicyclette, un moteur ou une radio. La situation est quand même précaire même si les gens mangent bien et ont une belle qualité de vie dans la communauté, selon ce que je trouve.

Le lendemain, c’est Maurelio qui nous accueille chez lui. Il parle avec nous longuement par rapport aux événements du 16 octobre et du Conseil Indigène. Il nous parle de l’accord qu’il a avec son épouse qui prend la charge de la maison et de la milpa pour lui permettre de s’impliquer dans le CIPO. Donc, dans le cas où il y a une activité, Maurelio peut compter sur sa femme pour s’occuper des affaires. Même vivant dans ce village éloigné, cet homme lisait un livre sur l’impact qu’ont les exploiteurs les plus riches de la planète. J’ai vraiment aimé ouverture sur ce qui se passe dans le monde.

Nous avons visité aussi à Onofré qui restera invalide suite à une balle qu’il a reçu dans le tibia lors des attaques. Il recommençait à peine à marcher et aurait vraiment accepté une compensation à son état. Il nous a parlé des gens de l’église Apostolico de la foi en Jésus Christ qui viennent lui dire de pardonner. Lui, il dit qu’il veut pardonner mais que ceux qui ont fait feu sur les gens du village doivent aussi recevoir des conséquences pour leur geste.

Dans le village, nous sommes aussi allés voir Mirna faire du tissage. Quoique la tradition vestimentaire s’est perdue et que peu de gens sache encore tisser, cette fille de vingt ans nous montrait ses travaux alors qu’elle est toujours en apprend-tissage. Nous avons visité un homme de notre âge, Eleuterio, qui nous a beaucoup aidé. Nous avons parlé pendant des heures et il nous a montré ses archives sur les attaques. Nous avons lu les découpures de journaux, l’autopsie du mort, le rapport des blessures par balles, la procuration contre les attaquants de Tanetze, le rapport de l’avocat remis aux droits humains sur les mauvais traitements subis à l’hôpital avec les détails des événements et la déclaration de Jacobo Chavez, le cacique de Tanetze. Il nous a aussi apporté beaucoup d’information intéressante sur les attaques. Il nous a parlé de l’importance de conserver son identité comme Zapothèque et ses traditions. Ceci m’a beaucoup intéressé de voir qu’à son âge il était animé par le même vouloir que les gens plus âgés, même si dans la maison il y avait la télé et la radio. Il nous a fait goûter le tepache, boisson de panela qui fermente avec les jours pour devenir alcooliser.

Pour notre dernière journée, alors que le village se préparait intensément à la fête de San Antonio, nous sommes descendus dans la vallée avec Aciel, le jeune fils de Flavio. Durant les attaques, il a reçu une balle dans le genou mais il est maintenant capable de marcher sans trop de douleur. Il nous a expliqué le système d’agriculture de la milpa, en mangeant des mangues. Nous avons marché dans les plantations de café et de canne à sucre, mâchant un bout de canne. Puis, nous sommes rendus à la rivière où Francis et moi avons fait une baignade dans l’eau claire. Nous ne sommes pas allés jusqu’en bas puisque la chaleur augmente plus on descend à basse altitude.

Le soir venu, nous avons fait nos adieux aux gens du village et remercier ceux qui nous ont accueillis. Le lendemain vers cinq heures du matin, nous étions dans le bus lorsque le chauffeur a poussé son klaxon horrible. La route était affreuse et nous sommes restés pris trois heures de temps dans la grosse bouette molle. Francis est allé pousser avec les autres hommes forts mais il a fallu que la machine de construction nous tire de là à l’aide d’une chaîne en métal. Après le chauffeur est devenu complètement freak et conduisait à une vitesse qui dépasse de trop loin la rapidité qu’il faut avoir pour être en sécurité. Klaxonnant dans les courbes et ne freinant que pour prendre les topes. J’ai été heureuse d’arriver saine et sauf à Oaxaca.

J’ai vraiment adoré mon expérience à Yaviche. De retour au CIPO, bien crasseux, nous jasons avec les gens de la maison. D’autres gens sont arrivés entre temps pour se préparer à une présentation sur les droits humains et d’autres choses se préparent. Le 12 juin 2004, nous rencontrons Raul Gatita qui se met en charge de répondre à nos questions sur CIPO. Sous l’ombre d’un arbre, il nous raconte l’histoire du CIPO, les projets futurs, l’idéologie magoniste libertaire et l’approche aux communautés. J’ai été vraiment touché par son courage dans la lutte contre la torture et l’impunité, lui qui a fait six fois de la prison, a subi de la torture et plusieurs tentatives d’assassinat. Le gouvernement mexicain le veut mort. Des gens du gouvernement et de l’armée lui ont déjà demandé qu’est-ce qu’il demande pour arrêter sa lutte. Il a répondu « la fin de l’injustice ». Après avoir fini l’entrevue, nous mangions avec lui à la table de la cuisine improvisée, il affirmait : « je ne suis jamais seul, je ne peux marcher seul dans la rue et je dois bien me méfier car, je sais qu’ils ont des tueurs à gage à mes trousses. Un jour, ils vont bien réussir à me tuer mais, de toute façon, ils n’auront pas ce qu’ils veulent parce que le Conseil Indigène continuera à exister.»

Par tout ce que j’ai vu du CIPO-RFM, j’ai vraiment été impressionné et je crois que je reviendrai un jour faire un projet X et j’invite les gens à le faire aussi. Il n’y a pas de cachette, de fausse image ou de choses à ne pas dire. La discussion est ouverte et les gens ont vraiment du cœur. Nous avons commencé à écrire les deux articles, un sur le CIPO et l’autre sur notre temps à Yaviche.

La même journée, nous sommes allés chercher mon petit Bertrand chez le réparateur. Après des communications internet avec Larry, le mécano de Olympia qui m’avait changé la roue arrière de Bert. Il me dit que je dois changer le hub (moeux), pièce qui ne brise jamais d’habitude. À cause d’un magasin pour touristes, eux qui ont l’argent pour payer ce type de bike (on appelle ça une demande solvable), nous avons pu avoir la pièce sans devoir la commander!! De merveilleux frais imprévus comme on dit. Le soir, on écoute un documentaire extrême sur la tuerie des militants étudiants par le gouvernement à Mexico en 1968, quelques jours avant les Jeux Olympiques. Réalisé par La Jornada, le film montre comment le président Diaz Ordaz à déclencher une chasse aux communistes mais plutôt au mouvement estudiantin avec le support évident de la CIA. Ils ont tué plus de 500 étudiants et envoyés des milliers en rééducation dans des camps militaires.