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23 au 25 juin 2004


Giboulée des débilités
23 juin 2004

Nous traversons Oaxaca en chantant Cecilia de Simon et Garfunkel. Je pense à ma coéquipière de terrain en Arctique qui est une vraie fan de cette musique, ainsi que l’Ombre et la Lumière de Marie Carmen. L’on croise le Monument à la Stupidité, un viaduc en gros béton laid et tout aussi inutile. Le gouvernement de l’État devait avoir une petite dette envers une compagnie de construction de la route. J’explique : Tula est une ville située à gauche et Mitla vers la droite. Ils ont fait passer la route pour Mitla à gauche, construisant un énorme viaduc pour se rendre à Tula qui passe par-dessus la route vers Mitla. La,la,la la corruptioooon! La,la,la tututula!

Le paysage change et l’on rentre en campagne. Je n’ai pas beaucoup d’énergie et après 25 km, l’on doit s’arrêter pour m’injecter une dose sérieuse de sucre sous forme de jus de guanabana et de chocolat. Puis je pète le feu mais Senor Murchison commence un retortijones prise 2. On rentre dans un parc et le petit est vraiment tout mal. Enveloppé dans le sac de couchage et couché sur la table à pique-nique. Je lui prépare à manger et je finis de le nourrir à la petite cuillère. Je monte la tente dans ce parc un peu à l’abandon. Le garde de parc balaie et nettoie chaque jour, ce qui devait être auparavant un endroit assez glorieux avec une piscine maintenant abandonnée et d’autres installation en décrépitude. Le garde du parc me prévient des gens qui viennent attaquer et voler des villageois durant la nuit dans ce parc. En allant acheter des tortillas au village, un homme vient me parler. Il a vécu 30 ans aux Etats-Unis et ils l’ont envoyé durant la guerre en Afghanistan. Depuis son retour, il s’est enfui des USA. Il porte une cicatrice qui fait tout le crâne. Il habite maintenant chez sa mère au village. Il me disait combien il avait peur après ce qu’il a vécu. Il m’a aussi parlé des désespérés qui proviennent du sud, des bandits qui n’arrivent pas à entrer aux US pour se faire de l’argent et qui attaquent les gens durant la nuit. Je me sens de moins en moins rassurée mais, Francis ne peut pas bouger d’un pouce. Le garde de parc, vieil homme au grand cœur, nous propose de mettre les bicycles à l’abri sous clé. Cette nuit-là je n’ai pas pu écouter mon envie qui me disait de chrissé mon camp de cet endroit mais, par chance rien ne s’est passé.


Una copita de Mezcal
24 juin 2004

Nous roulons dans cette plaine ondulée couverte par des dizaines et des dizaines de champs d’agave. Nous arrêtons dans une petite fabrique artisanale où une petite femme rondelette, après avoir dit à son mari trop saoul de se la fermer, nous explique tout le processus de fabrication. Tout d’abord, la gentille femme aux yeux brillants nous montre la piña, c’est-à-dire le cœur de l’agave ou maguey. Lorsque le plant est assez gros (10 à 12 ans), on le coupe et on le met à cuire sous un énorme feu, dans un grand trou construit de pierres. Lorsque les piñas sont cuites, elles sont broyées avec une meule qui tourne, activé par un cheval (là-bas c’était comme ça). Le gars saoul prend sa fourche et met le jus et les fibres dans une cuve à fermentation. De cette cuve bien fermentée, ils font bouillir la chmu, les vapeurs d’alcool montent et se condensent dans le tuyau qui passe dans un bassin d’eau, pour ressortir sous forme liquide dans un saut. Le mezcal repose ensuite dans un baril pour un temps qui dépend des envies du gars saoul. La femme nous a fait goûté et c’était délicieux. Nous ne sommes pas repartis sans notre flacon de cet élixir, la tête aussi un peu plus légère. Après un atole à Matatlan, Francis se sent toujours très mal. Nous arrêtons faire la siesta, couchés à côté d’un nid de fourmis formant un escadron pour arracher les feuilles d’un pauvre arbre. Des gardiennes à la tête énorme patrouillent. Nous repartons sous les nuages gris, juste à temps pour se faire frapper par la tempête. J’ai jamais vu ça. La pluie était horizontale avec le vent qui fouette. Des rivières dans les bords de route se forment en moins de deux minutes. Nous attendons à côté d’un camion qui s’est arrêté à cause du danger. Après la pluie folle, nous entrons dans les montagnes. On descend, on monte. La vue est incroyable. Nous campons dans un endroit merveilleux face aux montagnes qui s’annoncent, évitant de justesse un nid de fourmis. Je chie un typique retortijones, nous allons donc voir demain.


La peste dans le nombril
25 juin 2004

Nous nous levons par ce matin glorieux au sommet des chaînes de montagnes de la Sierra Madre. Nous prenons le petit déjeuner sur cette terre de brûlis. L’on y voit encore les cendres et les parties noires sur des arbustes qui ont tôt fait de pousser. Paradis des fourmis, la végétation est un mélange de cactus, de chênes, de liliacées, d’arbustres épineux et de graminées en touffes vertes montrant une différente stratégie de résistance-résilience face aux brûlis. À côté, il y a un champ de jeunes pousses d’agaves. Les gros nuages font des ombres sur les montagnes et avancent, changeant les patrons de verts clair et vert foncé sur les pics et les courbes. On descend sur une dizaine de kilomètres comme des grands vainqueurs, avalant quelques mouches et surtout en jouissant dans les courbes parfaites. Descendant dans la vallée qui n’en finit plus et passant des paysages de cactus et d’arbustes sur fond rocheux, nous arrivons à la ville au nom oublié. Poste de contrôle militaire. Francis a des remontrances de sa maladie inconnue. On arrête à quelques kilomètres de la ville, dans une usine désaffectée d’on ne sait quoi, pour profiter d’une ombre fort bienvenue. Je m’occupe de Francis qui est à l’article de la mort. Il s’étend à l’ombre gémissant. Je lui fais à manger. Je le change d’ombre de temps en temps puisque le soleil veut sa peau. Les chauves-souris crient dans la structure abandonnée et un nid de mouches piqueuses nous trouble au milieu de ce rien qui surplombent la vallée tranquillement.

Puis, soudain, Francis se sent mieux. On repart donc dans une montée abrupte. J’ai remarqué que lorsque presque tous les automobilistes ou camionneurs nous saluent et nous klaxonnent au début d’une montée, c’est qu’elle sera pénible. Ma théorie s’avère conforme dans ce cas. Francis supporte un peu la difficulté mais, quelques kilomètres suffisent pour le tuer. Les falaises de roches vertes parsèment le chemin, certaines sont même couleur lilas ou rose. Malgré leur beauté impressionnante, elles ne fournissent pas de lieu de camping souhaitable pour le malade sporadique. On trouve le spot le plus laid qu’il était possible de trouver dans le creux d’une vallée sans vent, humide, bourrée d’insectes et de déchets de toutes sortes. Francis se repose à demi cuisant dans la tente. Je ne sais pas quoi glander et je ne peux pas rester dehors à lire dans la horde d’insectes piqueurs. Je marche un peu dans le bois pour découvrir le squat de porcs énergumènes amoureux des contenants de styromousses. Je retourne chialer dans la tente qui est rendue un sauna, au moins libre de bibittes. Inutile de dire que nous dormons très mal. Le lendemain, riant de cet endroit de chiotte, nous nous poussons à 6 km par heure en tentant de fuir les mouches noires qui nous poursuivent. J’aperçois mon nombril boursouflé et rouge. Une araignée a sûrement tenté d’y faire son nid durant la nuit et m’a mordu. Ça pique et l’enflure se propage comme une gangrène nombricale.