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6 au 14 juillet 2004


Des côtes en truck,
c’est ben facile!

6 juillet 2004

On déjeune chez les Moreno et on continue les processus interminables de rejoindre le gars qui fournit de l’encre pour acheter un rim. Le numéro étant chez Beto, il est impossible de le reprendre puisque ce bon buveur dort dur et qu’aucune façon de le réveiller n’a eu du succès jusqu’à ce jour. Daniel fils doit donc retourner voir le mécano d’hier pour retrouver le numéro. Nous finissons par le rejoindre et on apprend que l’on devra commander la pièce qui prendra cinq jours pour arriver. On ne veut pas rester à Tuxtla et l’on décide de partir à San Cristobal où nous avons beaucoup de choses à faire. On mange avec les Moreno, et Daniel fils vient nous porter sur l’autoroute pour que nous fassions de pouce, laissant la bicyclette de Francis à leur maison. Le pouce marche pas fort et nous sommes mal situés. Un homme s’arrête pour nous prendre puisque ses deux enfants voulaient nous parler plus que pour nous être vraiment utile. Il nous fait un lift jusqu’à une prochaine station-service. Là encore, on demande à tout le monde mais sans vraiment de chance. Les gens ne semblent pas vouloir de gringos dans leur camion. Enfin, je fais du pouce et une famille accepte de nous amener plus loin, là où le soleil brille… et que les autos vont à San Cristobal. On finit par se faire embarquer par un pick-up. Mon envie de débordement stomacal persiste durant la montée jusqu’à San Cristobal, une route qui aurait été superbe à faire en vélo. Quoique pas aussi à pic et tortueuse que la route de Pochutla à Miuhatlan (chu sûre que tout le monde est fourré dans les noms de ville. Entendez au Guatemala; ça se compliquera encore plus!!). On voit des milpas dans des lieux rocheux et escarpés qui paraissent impossible à cultiver. Je pense au maïs transgénique que les américains essaient de faire acheter par les communautés indigènes. J’espère que ces communautés continueront à résister car leur maïs est particulièrement adapter à un accès aux ressources spécialement exiguës et un environnement rude. Leur maïs possède une résistance singulière qui me fait voir les années traditions et de sélection qui a construit cette plante et leur savoir dans l’agriculture. Quand on compare avec les champs de maïs au Québec, nourrit par des surplus de purins et gardé en vie par les insecticides, polluants des cours d’eau et éliminant et déformant les grenouilles et les poissons. Ça n’a rien à voir avec le murmure que ces cultivateurs indigènes entretiennent avec la terre et ses éléments.

J’ai dû dire vingt fois à Francis de regarder les beaux nuages et les pins noueux. Nous passons des villages indigènes où les gens sont vêtus de leur façon traditionnelle. Puis, nous arrivons à San Cristobal, dans le haut des montagnes. On doit marcher plus d’une heure pour se rendre au centre-ville. Je ne me suis toujours pas remise de cette insolation à Tapanatepec et j’arrête à l’hôpital pour demander du sérum à boire pour la déshydratation aïgue. On arrive enfin à la Posada del Centro que nous avait recommandé Simon et Isa. On ne mange même pas. On s’écroule sur le lit, morts de fatigue.

Le patati et patata
7 au 11 juillet 2004

Le 7 juillet, je ne fais pas grand chose, car je ne me sens pas encore très bien. Je suis très fatiguée mais la fraîcheur de la montagne me fait du bien. On visite la ville qui n’a pas vraiment changé depuis ma venue en 1999. J’arrive même encore à me reconnaître parmi les édifices de briques cuites au soleil et toits de tuiles, l’église couverte par des fougères, le marché public riche en fruits et peuples multicolores et la Cathédrale à la couleur orangée étincelante.

La ville est touristique et où se retrouve un mélange hétéroclite de traits, de couleurs et de formes humaines. Les Danois, les Français, les Italiens, les Américains et les Slovaques se mélange avec les Tzetzals, les Tzotzils, les Chols, les Zoques et les ladinos. Les tailles très différentes, la forme du nez, des yeux, de la bouche… C’est une symphonie de la diversité humaine. Les vendeuses indigènes, assises à leur kiosque dans leur jupe velue noire, attachée par une ceinture fléchée et une blouse de satin brodé, paraissent venir d’une autre époque. Elles sont si belles avec leurs joues rondes et rosées, leur bébé dans le dos retenu par un linge et leurs vêtements de couleurs éclatantes brodés à la main.

Sur le zocalo, des étudiants sont en grève depuis un long moment, deux mois je crois. Le gouvernement mexicaine avait promis de fournir des écoles bilingues pour les peuples indigènes qui sont au nombre de neuf dans l’État du Chiapas. La première école pour enseignants et seule école bilingue, a été ouverte il y a trois ans. Le but était de fournir une éducation en langues indigènes et en espagnol ainsi que des cours d’histoire des peuples en question et non pas seulement des conquistadores comme c’est le cas partout ailleurs au Mexique. Cependant, le gouvernement qui avait promis de fournir un édifice et le matériel nécessaire aux étudiants, se rétracte pas à pas pour y aller de la privatisation de l’éducation. Ce sont donc les étudiants et professeurs qui font la grève puisque l’école n’a toujours pas d’édifice propre. Les cours sont données dans une école primaire dans les heures où il n’y a pas de classe. Le gouvernement mexicain continue à mépriser la culture, la langue et l’histoire de ces peuples, niant la diversité indigène et les nécessités qui en découlent, comme par exemple le besoin d’une éducation qui tente de s’adapter à leur langue, leur histoire, leur culture et leur vision du monde.

On fait des marches dans la ville. Savourant des tamales de différentes sortes comme de poulet et mole, d’elotes, de poulet et légumes, de fèves entières et de feuilles non-identifiés. Le tamal est une pâte d’épis de maïs que l’on fourre avec différentes choses et on le cuit à la vapeur enveloppée dans une feuille de bananier ou de maïs.

Pendant qu’on mange nos tamales, on remarque à quel point le travail des enfants est une épidémie ici, comparativement à ailleurs au Mexique. Il y a tellement d’enfants dans les rues vendant des bonbons, des poupées et des bracelets tressés. Pourtant, personne ne semble s’en préoccuper. Souvent pas très loin de leur mère, les petites filles encore trop jeunes, qui jouerait encore avec une poupée si elles avaient le choix, doivent s’occuper plutôt de leur petit frère ou sœur.

On visite aussi un des contacts que nous avait donné Gustavo Esteva par e-mail. On se rend donc au Capise (Centro de analisis politico e investigaciones sociales y economicas- site web : www.capise.org ). On rencontre José Merced qui nous explique les projets de recherche en cours. Ils étudient la militarisation du Chiapas et en parallèle la violation des droits humains. Ils ont en effet cartographié les camps militaires et les groupes paramilitaires sur le territoire du Chiapas pour comprendre les stratégies militaires qu’emploie le gouvernement mexicain contre les zapatistes. Ils ont pu constaté les manœuvres illégales qu’utilisent le gouvernement, continuant avec la guerre sournoise à basse intensité, persistant avec la présence des groupes paramilitaires. Le positionnement des camps et l’identification du type de troupe militaire permet d’enseigner aux populations de reconnaître avec plus de précision si les militaires violent les droits humains. Le Capise fait aussi un recensement de toutes les violations des droits humains qui se produisent dans les villages indigènes, autant par les militaires et paramilitaires. Dans cette pièce où nous l’avons rencontré, les murs étaient couverts par des cartes de positionnement stratégique des différents camps militaires. José Merced nous explique comment le gouvernement utilise la formation de l’enclume et du marteau. Il positionne les troupes de front, suivi de l’arrière-garde, vis-à-vis la Selva, lieu présumé de la Comandancia de l’Ejercito Zapatista de Liberation National (EZLN). L’enclume est formés par les camps militaires à la frontière du Guatemala que le gouvernement justifie disant que ces troupes s’occupent du contrôle migratoire, de la drogue et de la « protection nationale ». Cette étude permet de comprendre que le gouvernement peut décider d’un jour à l’autre de changer sa guerre de base intensité pour une attaque d’écrasement, prenant le EZLN en sandwich. La rencontre a été très passionnante. Il est plutôt rare que je penche ma curiosité sur des questions de stratégies militaires mais ça m’a beaucoup intéressé.

Aussi, nous sommes allés faire un tour au centre d’information zapatiste. Nous activons une sonnette et une dame nous répond. Bonjour, nous vouloir plus d’information sur zapatiste. Vous prendre colectivo en face marché vers Caracol Oventik. 10-4 roger-roger-roger. Marci ben! Adios.


Lundi zapatisco mocheton
12 juillet 2004

Bonjour matin. Nous organisons le stock pour le départ en mission vers Oventik, caracol, cœur centrique face au monde… Après un bol de granola, nous trimbalons notre derrière vers le marché des marchés, à droite et puis tout droit. Évitant un tas de marde sur le trottoir étroit en pierres, nous saluons poliment la vendeuse de blé d’Inde grillée et le peseur public. Nous avançons dans le secteur des colectivos. Nous sommes maintenant en route vers Oventik situé dans les Altos c’est-à-dire les montagnes au Nord du Chiapas. Après une heure et demi, nous arrivons au Caracol. Il y a la tienda coopérative où plusieurs personnes viennent d’arriver et attendent qu’on les rencontre. L’aventure toilette commence. Quand tu demandes où est-ce que se trouve la toilette, tout le monde rit dans leur barbe fictive, indiquant en haut à droite. Tu montes la côte, dépasses le dépanneur, marches sur la planche en bois, croises le réservoir d’eau, traverses le champ et voilà : la cabane de toile bleue dans laquelle un trou aussi humble que pestilentiel s’offre à même le sol.

J’oubliais, on nous a réclamé nos passeports à l’entrée. Nous attendons donc avec toute la patience du monde. On jase avec deux allemandes, deux norvégiennes et quelques mexicains dans un mélange de langues indécent. Un gars avec son passa montana (cagoule) nous appelle à le suivre et à descendre dans le Caracol. Les édifices sont des cabanes de bois peintes de mille couleurs. Il y a un joli arbre qui est peint avec pleins de gens dedans qui rient. Il y a des images du Ché, des visages cachés sous la cagoule et la Terre avec tout le monde. Sur l’école primaire située plus en haut sur la route, il y a une peinture d’une femme dont cheveux sont des rivières. Dans le Caracol se trouve l’hôpital et les boutiques des Sociétés de café et d’artisanats comme Mujeres por la Dignidad et Xulum Chom. Il y a aussi une cabane pour la Junta del Buen Gobierno (nom donné pour le distinguer du Mal Gobierno). Donc, nous attendons encore. Francis reste toujours calme et on est content. Aussi un peu nerveux ne sachant pas trop ce que nous allons demander.

Enfin, un homme nous entraîne vers une autre cabane où trois personnes du Conseil, une femme et deux hommes à cagoule nous accueillent. Ils nous remercient longuement d’être venus, d’avoir fait un si long voyage, d’avoir travaillé fort pour gagner de l’argent pour venir les rencontrer. On nous applaudit. Wow! C’est comme s’ils avaient su que nous venions de passer neuf mois à pédaler avant d’arriver. Ça y est, je suis vraiment gênée. Ils nous demandent de se présenter. Nous présentons notre organisation et le projet qui est en cours. Ensuite, ils nous expliquent ce qu’ils font.

L’homme du centre parle davantage et présente les événements qui ont mené les zapatistes à se soulever. Il nous parle de la dignité face à la marginalisation, l’ignorance, l’exploitation, la pauvreté et la misère. Il nous parle de l’espoir. Il nous dit humblement qu’ils ne sont pas parfaits, qu’ils ont beaucoup à apprendre et qu’ils sont contents que l’on vienne parler avec eux. Les moutons qui broutent à côté de la cabane bêlent sans arrêt et le son me fait penser à des rires de grand-maman. On se détend un peu.

Les yeux qui n’appartiennent à aucun visage mais qui les représentent tous me troublent. Ces yeux sont ouverts. Ils écoutent. Je pense qu’ils doivent avoir chaud sous leur masque. Ils semblent habitués. Ils se parlent entre eux en Tzotzil, sans que j’en ai la certitude. Ils prennent beaucoup de temps pour nous. Ils nous expliquent les différents projets, sans avoir peur d’avouer qu’ils ne connaissent pas tout, mais qu’ils peuvent demander.

La femme explique d’une voix forte et pleine d’assurance qu’avant les femmes n’avaient pas la parole et qu’elles ne sortaient pas de la maison. Mais elles se sont levées avec les hommes et demandent leurs droits. Elle dit « nous sommes encore peu à sortir de la maison et à s’organiser », comme pour le Conseil d’accueil de trois personnes, ils exigent la présence d’une moins une femme. Elle me parle à moi et je l’écoute touchée.

Après leur description des projets et des lieux, nous leur montrons l’importance pour nous d’aller visiter les communautés. Nous choisissons la Municipalité rebelle autonome zapatiste de San Juan Libertad à cause des différents projets et pour s’éloigner un peu du Caracol. Ils nous disent qu’ils feront la demande à la Junta del Buen Gobierno où nous devrons venir chercher notre autorisation. Nous convenons de jeudi.

Nous repartons contents et fatigués jusqu’à San Andrés puis San Cristobal. Nous finissons la journée sur le toit en compagnie des deux allemandes, dont une est graillée d’un toupet ballon année 90. C’est bien la folie du fou rire. Francis et moi animons un peu la soirée. Malheureusement, nous partageons peu de points en commun avec elles et je finis la journée avec une ennuie profonde de mes vrais amis.

Joie et ennuie, et rejoie
13-14 juillet 04

Aujourd’hui, Francis s’en va à Tuxtla chercher sa jante de bicyclette. Nous n’avons pas besoin d’être deux et certains nuages noirs dans notre relation nous font dire que nous avons besoin d’une journée de séparation. J’en suis assez contente pour avouer et je me fais plaisir en écrivant une lettre à Nat, visitant un musée et me baladant à travers la ville pour kidnapper des images sous forme de pixels. La ville est belle. Je cherche un livre de Ivan Illich dans toutes les librairies de la ville. Je lis avec un café. Je pratique la contemplation finalement.

Vers huit heures, j’apprends que Francis ne rentre pas. Il n’a pas réussi à contacter le gars à temps. Je sors manger des tamales, me sentant un peu seule, séparée de mon amoureux.

Le lendemain, ma tendre moitié revient. On se saute dans les bras. Et…c’est tout ce que j’ai à dire sur le sujet.