15
et 16 juillet 2004
Chez
les zapatistes
15 juillet 2004
On pack le tout et nous laissons les bicyclettes à l’hôtel.
On se rend près du marché où les colectivos nous
avaient embarqué la dernière fois. J’achète
des « mamones » qui veut dire à peu près «
têteux », mais au Mexique on l’appelle guaya. Ma famille
adoptive au Nicaragua avait un arbre de mamon dans la cour et ça
fait depuis toutes ces années que je n’en ai pas mangé.
Je me souviens par contre de leur avertissement sur le fait que ça
donne le va-vite. En mangeant des tamales en route vers Oventik, j’offre
des mamones aux gens dans le Colectivo (hihihi!). Nous arrivons au Caracol
et nous donnons nos passeports à la femme de l’entrée.
On lui dit que nous venons chercher notre autorisation pour aller passer
quelques jours dans la communauté de San Juan Libertad.
Nous
attendons peu de temps près de cette petite cabane de pin avant
de rencontrer la Junta. Nous entrons dans le bureau couvert de photos
et d’affiche de différentes conférences. Nous commençons
à nous présenter et les deux hommes à la cagoule
semblent tout ignorer de notre venue. Donc, on réexplique le
tout et ce que nous avaient dit le comité d’accueil. Tout
semble compliqué. Ils prennent nos noms et le nom de notre projet
avec certaines difficultés pour écrire. Ils nous demandent
avec une certaine résistance pourquoi nous voulons aller dans
une communauté et ce que nous allons faire. D’autres éléments
d’incompréhension entre en ligne de compte et me font penser
à une belle bureaucratie en miniature. Je m’excite un peu
parce que les messages ne semblent pas s’être bien passé.
Je dois dire que je me sens aussi un peu énervée d’être
ici et ces processus m’apparaissent interminables, mais quand
j’y pense ils sont compréhensibles. À force de s’expliquer,
on finit par franchir les barrières de langues, puisque ni eux
ni nous ne parlons l’espagnol comme langue première. Tout
s’arrange. Nous repartons avec l’autorisation et ils nous
trouvent quelqu’un pour nous amener on ne sait où.
À
force de demander à l’homme qui nous accompagne, nous finissons
par comprendre ce que nous attendons sur le bord de la route. On finit
par savoir que nous allons finalement vers la Municipalité autonome
de San Juan Libertad. On s’arrête dans un village. Notre
accompagnateur donne de l’information à un homme en Tzotzil
et nous dit que nous resterons chez lui. Alfonso, les cheveux grisonnants,
doit approcher la soixantaine. Il nous amène sur le toit de la
maison et nous donnent de petites chaises, nous disant d’attendre
qu’il revienne et que nous aurons une réunion en soirée
avec les sociétaires du café.
Nous
attendons. Nous avons faim. Le paysage est merveilleux, avec la montagne
immense qui se dresse derrière nous. Des enfants nous espionnent
et partent en courant lorsqu’on leur fait des bye-bye. Nous avions
installer les matelas dans la petite pièce de séchage
située sur le toit, croyant que nous allions y dormir.
Alfonso revient plusieurs heures plus tard. Il nous dit que nous coucherons
à l’école et que nous allons maintenant dans une
réunion. Dans le noir, nous descendons la côte jusqu’à
l’école avec nos matelas sous le bras. Dans le noir, un
groupe d’homme est assis l’autre côté de la
place de basketball. Nous entrons dans l’école et tout
le monde entre.
Ce
sont plus de trente hommes présents à la réunion.
Alfonso nous décrit ce qui les a amené à se soulever
en 94 et de leur situation. Le gouvernement tente de créer de
la division dans les communautés zapatistes en finançant
la construction de la maison de l’un, payant l’autre pour
des projets quelconques. Les gens savent ce que fait le gouvernement.
Ils nous remercient de venir les voir et de vouloir faire connaître
leur lutte. Ils nous donnent tous une main d’applaudissement.
C’est la gêne totale! Je suis l’unique femme sur place
et ça m’intimide. Francis et moi décidons que je
poserai les questions et que lui prendra les notes, histoire que les
hommes ne parlent pas qu’à lui. Les gens prennent le temps
de répondre à nos questions. On nous explique l’histoire
du Mut-Vitz. Pendant la période de questions, la majorité
des hommes avaient les yeux fermés. Ils semblaient épuisés
de leur longue journée de travail. De leur longue vie de travail.
L’assemblée
a décidé que nous irons finalement dormir chez Alfonso.
Chunca, le nom Tzotzil pour Juana, l’épouse d’Alfonso,
nous fait à manger, des œufs et des frijoles. Cette dernière
parle espagnol et s’exprime avec plein de sympathies pour nous.
On discute pendant le repas. Nous parlons du Canada. On nous pose des
questions comme comment gagne-t-on sa vie au Canada. Hum!! Bonne question.
Anecdote assez drôle : ils ne payent pas l’électricité
tant que les gouvernement ne signera pas les accords de San Andres.
Les gens de l’électricité sont avec eux et de toute
façon si le camion venait les couper, ils le confisqueraient.
Le choc sismique
16 juillet 2004
Au petit matin, Casimiro vient nous chercher chez Alfonso car, aujourd’hui
nous allons travailler à la plantation de café. Nous arrivons
chez lui. Il nous présente sa femme qui à l’air
d’une enfant, avec un petit visage doux et rond. Elle nous fait
à déjeuner en silence et sans nous regarder. Elle porte
bébé dans le dos, accroché dans un linge attaché
sur le devant. Elle tourne le petit lorsqu’il pleure pour lui
donner le sein. L’on comprend rapidement qu’elle ne parle
pas espagnol, et donc qu’elle n’est pas allée à
l’école. Elle a été mariée à
16 ans et a maintenant dix-sept ans. Elle semble vraiment trouver difficile
la vie qu’elle mène avec son lot de responsabilité
de mère et de tenante de maison.
Après
des œufs, des tortillas et une tasse de café, nous descendons
dans la vallée en sillonnant les milpas jusqu’à
la plantation de Casimiro, la machette à la main. Près
du ruisseau poussent de belles fleurs d’un blanc pur et des chevaux
en liberté broutent l’herbe verte. Le jeune homme de 21
ans nous explique comment son père et lui ont démarré
la plantation de café qui est maintenant le terrain du fils.
De la graine qu’ils font poussé dans le semillero, un petit
jardin, les plants grandissent et sont transférés dans
la plantation. Sous l’ombre du chalum, nous commençons
à faire la limpia, c’est-à-dire à couper
les plantes qui poussent et pourrait faire compétition au café.
Ça prend plus de quatre ans avant qu’un plant donne une
récolte considérable. Au début, Casimiro a séparé
le travail disant à Francis de faire une moitié et lui
s’organisant avec l’autre. Cette façon d’agir
m’a déplu puisque, même si je ne connais la raison
pour qu’il agisse de cette manière, ce fut comme si mon
travail n’allait pas compter. Pourtant, après quelques
temps d’observation de Casimiro qui manipulait la machette dans
des mouvements larges et gracieux, j’ai finalement pris le truc.
C’est vraiment avec les sentiments les plus désespérés
que Francis et moi avons constaté qu’il avait coupé
quelques jeunes plants de café par inadvertance. Ouhlalala! ça
donne beaucoup de points de mauvais Karma…
Nous
avons terminé rapidement la limpia et Casimiro nous a introduit
à la recepa. Chaque plant reçoit des soins minutieux alors
qu’on coupe les branches de l’année, les branches
mortes et les feuilles jaunes. Casimiro est très sympathique
et prend le temps de nous expliquer comment se fait la culture biologique
et toute sa charge de travail. Je vois bien qu’il aime son travail
et il le fait avec beaucoup d’amour. J’aime aussi beaucoup
ce travail physique dans la nature (ha ben, c’est drôle!)
et de prendre soin des plants.
Nous
revenons vers environ midi. Pour dîner, nous mangeons un bol de
pozol, un breuvage froid de maïs blanc broyé que ni Francis,
ni moi n’avons vraiment apprécié. Mais devant la
famille qui observait nos faits et gestes, c’est avec le sourire
que nous avons fini notre bol. Casimiro nous confie qu’ils ont
achevé leur ration de fèves pour cette année. Nous
voyons aussi la maison dont le toit est laissé inachevé.
La latrine est aussi à un seuil assez effrayant alors que le
niveau des fèces s’élèvent plus haut que
le trou du sol. La famille m’a paru sérieusement pauvre.
Vers
une heure, nous attendons en face de l’école à cause
d’un rendez-vous avec des responsables de la coopérative
d’artisanat. Deux femmes viennent à notre rencontre. Elles
organisent une réunion avec une dizaine de comparses sous l’ombre
d’un grand arbre. Alors que deux jeunes garçons grippent
dans les plus hautes branches et s’amusent comme des petits singes,
des femmes de toutes âges travaillent à leur pièce
d’artisanat. C’est un moment qui restera bien graver dans
ma mémoire. La chance d’être au milieu de ces femmes
artistes est d’une beauté incroyable. La responsable répond
gentiment à nos questions sur l’organisation de la coopérative
Xulum Chon, puisque les autres femmes parlent très peu espagnol.
Lorsque l’on demande comment réagissent les hommes face
au fait que les femmes s’organisent ensemble et veulent sortir
de la maison et aussi du village, la responsable demande a une des femmes
qui porte son bébé dans le dos de témoigner. Celle-ci
nous dit que contrairement à d’autres, elle a la permission
de son mari pour sortir.
Lorsque
le soir je pose des questions à Alfonso sur la situation des
femmes, il répond que beaucoup de choses ont changé depuis
le soulèvement zapatiste puisque maintenant elles ont le droit
de participer et que maintenant les femmes ont des droits.
Pouf!
Je finis la journée avec la conscience du choc culturel que je
suis en train de vivre. La situation des femmes m’a troublé
au plus profond de moi. Je dois dire que j’ai eu de la difficulté
à avaler la pilule et je pense que ça prendra encore beaucoup
de temps avant que je puisse comprendre et accepter. Alors que les hommes
semblent arriver à un tel niveau d’organisation, de respect
et d’écoute des autres, les femmes sont admises à
titre d’acteur dont le rôle est perçu secondaire
dans leur société. Je ne sais pas. Il est difficile de
ne pas juger parfois…