2
au 4 août 2004
En route vers le sud
2 août 2004
Enfin, on part. Y’a des montagnes mais c’est l’altitude
qui fatigue. On dirait qu’on manque d’air. C’est l’après-midi.
On croise une fleur rouge qui pousse sur le bord de la route à
côté d’une base militaire. On jouit car dans quelques
jours on quitte finalement le Mexique pour entrer dans l’inconnu.
On passe de merveilleux villages indigènes, avec des clôtures
de pins et de belles fleurs jaunes. Sur le bord de la route, il y a
le plus attachant des petits cochons poilus. Cette grosse boule de poils
nous fait un sourire gentil avant que nous reprenions la route. Puis,
la pluie tombe, nous sommes mouillés et congelés.
Un
comedor nous aguiche vers son savoureux pollo en mole et café
chaud. Les serveuses et cuisinières portent ces jupes de poils
noirs attachées par une ceinture fléchée. Avant
de repartir, nous achetons des pêches à des enfants, vendeurs
ambulants. Nous sommes maintenant réchauffés et nous continuons
en traversant de petits villages. Après quelques crampes intestinales,
nous décidons de chercher un spot de camping. On rentre dans
une allée fermée par une barrière et nous campons
sous des arbres épineux qui représentent une menace suprême
de crevaison. On lit. Je chie bizarre et je suis fatiguée, plus
que d’habitude. Francis se tourne au moins mille fois durant la
nuit et moi je dors bien.
Boîte à savon
3 août 2004
Nous nous réveillons assez tard dans nos habits de ver nu lorsqu’un
groupe d’une bonne quinzaine d’hommes et femmes passent
devant notre tente riant en parlant en langue inconnue maya (ils ne
rient pas parce qu’ils nous ont vu tout nu en passant! On avait
le couvre-tente). C’est mon jour de chance, je n’ai pas
de crevaison. Pendant notre application de crème solaire un homme
et son fils nous espionnent scrupuleusement et une boîte à
savon traverse la route à toute allure. On croise des gens sur
la route qui marche pour aller travailler. De loin, avec le chapeau
et les outils, nous avons l’impression que se sont des vieillards,
mais de proches, ils s’avèrent plus jeunes que nous. Le
paysage est beau. C’est plein de côtes.
Nous
arrivons à Comitan assez tôt dans la journée avec
un 20km de moins que ce qui apparaît sur notre carte! Nous descendons
la longue pente qui mène vers le centre-ville, souffrant mentalement
à l’idée de la remontée. Nous nous rendons
au marché pour faire le plein. Francis garde les vélos,
alors que je me faufile, seule blanche à l’horizon, à
travers les stands de viandes avec mouches et les légumes frais.
Les gens sont sympathiques et accueillants. Je sors avec les provisions
et nous cherchons avec urgence un désaltérant. Après
avoir fait le tour 10 fois, nous finissons par boire un fresca chez
le resto de poulet frit au plancher glissant de graisse. Fatigués,
moi avoir nausée depuis San Cristobal, nous décidons de
prendre un hôtel à 100pesos. La chambre semble propre mais
la salle de bain pue la marde. Investiguant la poubelle de la toilette,
j’y découvre la source de ce tendre arôme de chambre
à l’hygiène douteuse. Rien n’est parfait,
la marde pue.
Selon
les conseils d’un résident de San Cristobal, Comitan est
bien connu pour son pan compuesto (pain composé). Toujours à
l’affût de nouvelles découvertes culinaires, nous
avons arpenté le centre-ville en quête de ce plat typique.
Avec du porc et des petites carottes marinées, le pain composé
nous a laissé sur notre faim. Nous visitons un autre endroit
et je prends ce qui devait être un poulet fumé aux légumes
selon le mari de la cuisinière. Ça s’avère
être une giblotte style gaspésienne avec un poulet frit,
jambon, saucisse à hot dog et frites, le tout baignant dans une
épaisse sauce brune servit sur une table crâsseuse. La
journée s’est terminée avec un air de nostalgie
d’un chez moi, d’une salade et d’une bonne hygiène,
sachant quand même que demain sera un autre jour!
Et si ce sont des méchants !
4 août 2004
Nous partons de bon matin et faisons un stop à l’abarrotes
pour acheter un carafon d’eau. Pendant que je remplis un sac à
eau, un homme dans la soixantaine vient discuter avec moi et me demander
ce que je fais. Nous parlons pour un moment et il nous informe que nous
sommes dans la zone tojobal (peuple maya) du Chiapas. Il nous souhaite
bonne route et nous dit tout ce que nous n’avons pas encore visité
au Mexique. Bon, nous reviendrons de toute façon! Après
une côte à fendre le cuissard, nous nous retrouvons sur
un plat qui nous induit en hypnose, loin dans nos pensées. Nous
descendons des montagnes et voyons des plaines vertes pâles et
jaunes qui s’étendent. Francis a un flat qu’il «
répare » pendant que je chasse les mouches. Nous descendons
encore jusqu’à un comedor qui crit notre nom.
Une
femme nous accueille, heureuse avec un grand sourire, en nous demandant
où est la petite. La petite? Il y a plus d’un an, un couple
de français avec leur petite fille d’un an ont parcouru
du Costa Rica jusqu’aux États-Unis en vélo. Victor
Hugo et Damaris les avaient rencontré à Ensenada, au nord
du Mexique. Quelle aventure incroyable à faire avec un bébé?
La femme du comedor est très rieuse et nous prépare à
manger. Son époux porte un beau sourire chaleureux et s’assit
sur la véranda avec nous. Nous discutons pour quelques heures
en riant beaucoup, le temps que la tempête passe et que Francis
« répare » à nouveau un flat. Ces gens font
du bien au cœur de la voyageuse, avec leur ouverture et leur légèreté,
comme un rire d’enfant.
Nous
continuons la route en espérant se rendre à Ciudad Cuautémoc
pour y dormir, car de nombreuses personnes nous ont averti que près
de la frontière, rôde les désespérés.
Nous arrêtons dans une station-service pour que Francis répare
un autre flat. Nous pédalons jusqu’à la dernière
lueur et soupçon d’énergie. Derrière les
barbelés gît une cabane abandonnée. Je vais inspecter
les lieux et nous fixons le camp. Après avoir fait à manger,
nous allons nous coucher dans notre tente, épuisés. Vers
11 heures, je me réveille en sursaut. Un véhicule est
proche de la cabane (plus proche que la route) et fait des bruits de
moteur (des burns) qui se rapprochent de la tente. « Francis y’a
un camion qui se rapproche de la tente » « Ben non, ils
doivent avoir des problèmes de moteur pour monter la côte
» « Francis, y’a pas de côte ». Puis,
les lumières se braquent sur la tente, ils défont la barrière
de barbelés.
Nous
sommes tout nu dans la tente. L’anxiété est au maximum
parce que nous ne savons pas ce qu’ils veulent. On s’habille
en vitesse. Puis, on se sent démunis, pensant : Et si ce sont
des méchants?! Francis sort de la tente en premier. Les lumières
du camion nous aveuglent. Francis commence à leur expliquer et
je suis derrière. Ils sont quatre hommes. Le gars dit qu’il
est le propriétaire et dit qu’il a vu de la lumière
de la route plus tôt en soirée. On lui explique que l’on
cuisinait. Il dit qu’il venait voir si ses animaux avaient assez
à boire. L’homme semble rassuré par ma présence
féminine et nous emprunte une lampe (?!) pour vérifier
le niveau d’eau dans le réservoir. Nous comprenons que
l’eau n’est qu’une excuse et que les bruits de moteur
étaient pour nous faire fuir. Ils nous souhaitent bonne nuit
et s’en vont. Le cœur en chamaille, nous passerons au moins
deux heures avant de dormir d’un sommeil agité par l’adrénaline.
Pendant
ce temps, j’ai pensé aux risques que nous fait vivre notre
vie. J’ai énormément confiance en les gens et ce
voyage m’a prouvé chaque jour que je fais bien d’avoir
confiance. Quoique je n’aime pas m’attarder sur l’étude
de tous les risques possibles, les risques de mauvaises rencontres existent.
J’en suis aussi consciente et je les accepte parce que les craintes
et les doutes devraient être des sortes de balises, ils ne doivent
pas être des mûrs.