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au 6 septembre 2004
Crackheads sur la voie
2 septembre 04
Le lendemain nous faisons une petite baignade dans le cristal tout bleu
où pataugent des canards. C’est la paix et nous séchons
sous le petit soleil chaud et le vent du bateau qui nous ramène
l’autre côté du lac.
Nous
revenons en bus. L’homme qui charge les passagers du bus nous
demande le double du prix et s’obstine dur comme fer, alors que
des hommes à côté nous disent qu’il n’a
pas raison d’agir comme ça avec nous et que c’est
bien injuste. C’est une pratique généralisée
au Guatemala de charger davantage aux touristes. Nous étions
quand même bien contents de voir que les gens ne sont pas d’accord.
En rigolant, ils m’indiquaient comment je pourrais tirer le chargeur
par-dessus bord! Nous arrivons à San Andres et faisons nos adieux
à Mario, Carlos, Edwin et l’homme qui nous a donné
notre fameux canard.
Nous
partons de la magnifique ville de San Andres. Après quelques
kilomètres, nous devons déjà se mettre un masque
de tissu pour filtrer la pollution. Alors que nous nous sommes éveillés
dans un endroit si calme et pur, nous finirons la journée dans
l’exact opposé, histoire de bien se traumatiser. Nous finissons
un 13 km de montée jusqu’à ce que la pluie et la
faim nous oblige à faire un stop. La dame du resto, nutritionniste
et bénévole à la Croix rouge, s’occupe de
nous et nous prépare une bonne salade au poulet.
Nous
poursuivons la route, bien décidés à ne pas rouler
dans la ville de Guatemala la nuit. Tout le monde que nous avons rencontré
et qui ont su que nous passerions par la capitale nous ont dit de ne
pas rouler la nuit, d’éviter la zone 1 de soir et de faire
attention à cause des meurtres quotidiens. Biensûr, comme
des crackheads que nous sommes, nous n’avons pas réussit
à trouver un endroit où loger avant la noirceur. Donc,
sur le réseau d’autoroutes et de grands boulevard, nous
avons traversé la ville de nuit dans le trafic et les klaxons.
L’air fait mal aux poumons et nos yeux sont rouges et irrités.
Nous sentons notre tête lourde et nos mouvements plus lents. Nous
avons chaud et froid du même coup, avec la sensation d’être
bien intoxiqués. En demandant à des gens pour un hôtel
pas cher, nous finissons par atterrir dans la fameuse zone 1, le lieu
de rassemblement des gens pas frais et inquiétants.
Nous
trouvons un hôtel qui annonce « ambiance familiale ».
Nous comprenons vite qu’il s’agît d’un semi-bordel
de saoulons qui se gratte la bédaine. Nous dormons comme des
bûches malgré le vacarme de cette « ambiance familiale
», souhaitant bonne nuit à nos amies coquerelles. Francis
dit le glouton me rappelle que nous avons mangé quatre fois durant
cette journée.
Le centre-ville de Guatemala est infesté
3-5 septembre 04
Nous nous éveillons avec l’intense nécessité
de quitter cet hôtel à « l’ambiance familiale
». Nous allons à un hôtel à un coin de rue
qui nous charge un bon prix pour la chambre qui n’est pas un trou
à rat cette fois. Nous contactons Mama Maquin et une chaîne
de télé du Guatemala. On échoue dans notre tentative
de visiter un musée. Nous croisons une bonne sœur au centre-ville
et ça nous inspire confiance de lui demander des instructions.
Elle nous envoie prendre l’autobus très loin. Nous demandons
au chauffeur de nous débarquer près du musée. L’on
se retrouve au mauvais musée qui coûte 5 $US par personne
et ferme dans 15 minutes. On revient en autobus déçus
d’avoir perdu notre temps. Le lendemain nous rencontrons Vilma
au bureau de Mama Maquin. On jase longtemps et elle nous propose de
revenir le lendemain pour rencontrer Maria Domingo, une des femmes qui
dort dans les bureaux de Mama Maquin et vit pour Mama Maquin.
En
attendant, on lit le journal dans un petit comedor où on s’informe
sur les meurtres et les viols de la veille qui se sont produits à
des coins de rues que nous connaissons de cette merveilleuse et rassurante
zone 1. Bruyant et non propice à notre émancipation touristique,
la ville très polluée de Guatemala City nous oblige à
un renfermement sur nous-même, attendant le doux moment venu pour
chrisser notre camp. Dans notre renfermement, nous souffrons de l’un
l’autre. L’un se déprime, l’autre s’inquiète
et se déprime ce qui déprime l’autre et vice et
versa. Nous avons besoin de vacances de nous. Nous rencontrons Maria
Domingo qui pète le feu d’énergie, de réunions
et de choses à faire.
En
soirée, je vais acheter des surprises à la pâtisserie
et la femme qui me reçoit se dépêche à emballer
les pains et les gâteaux car l’exterminateur venait «
sprayé » les grosses coquerelles envahissant le magasin.
Nous ne sommes pas revenus acheter des petits pains mais, nous avons
compris l’étendue de l’infestation affectant tout
le centre-ville de Guatemala.
C’est fini! On se sépare!
6 septembre 04
La vie est en euphorie en ce beau dimanche du match de futbol (soccer).
Les gens arborent fièrement le drapeau national et plusieurs
rues sont bloqués. On croise un homme d’une quarantaine
d’années en vélo qui nous aide à sortir de
ville qui se poursuit sur des kilomètres et des kilomètres.
Il me parle de la situation politique au pays. Il a vraiment des jambes
d’enfer avec des muscles d’ancien coureur de vélo,
maintenant devenu photographe. On monte une bonne côte et il nous
clanche ben raide avec son petit vélo léger. Il nous dit
au revoir et je dois changer un flat quelques minutes plus tard. On
monte encore et passons des banlieues type américain qui n’en
finissent plus, peuplés par les riches du Guatemala.
Après
le lunch, nous accomplissons ce qui nous manquait depuis un bon moment
: une bonne séparation. Francis part. Je reste donc au café,
avec quelques frissons, pendant environ une heure à écrire
des cartes postales et à penser à mes amis et ma famille.
Puis, je repars. Je me sens vraiment bien, vraiment libre. Je rigole
et j’invente des chansons. Je regarde les paysages et je me parle
toute seule. Je m’amuse bien et ça me rappelle mon voyage
d’une dizaine de jours en solitaire au Québec ou encore
ma fugue du Vietnam. Je passe une ville où je salue les gens.
Une madame scandalisée s’exclame : Oh! Es una mujer! Bien
oui, une femme qui voyage en vélo. Près d’une ville,
un groupe de jeunes hommes s’amusent à me dépasser
et à m’attendre pour que je les dépasse à
nouveau. Trop gênés pour engager une vraie conversation,
ils me posent quelques questions de temps à autres. Les paysages
sont somptueux et j’ai beaucoup de plaisir à descendre
des super côtes. Je m’arrête pour pisser et je reste
à observer un patch de Bambous qui atteignent plus de trente
mètres de hauteur. Ils sont entourés de petits ruisseaux
et je me repose à les écouter se taper l’un sur
l’autre dans le vent.
Je croise beaucoup de gens qui me sourient et semblent bienveillants.
Ça me rassure, car je ne savais pas si je pourrais me sentir
en sécurité toute seule. C’est quand même
fou puisqu’il existe une différence d’approche des
gens; ils semblent venir vers moi pour me jaser plus facilement et je
trouve ça très agréable. Je dois absolument rejoindre
une ville pour y dormir durant la nuit car c’est Francis qui a
gardé la tente et moi le réchaud. Je manque presque la
ville de Cuilapa qui est situé dans une côte merveilleuse.
Dans la ville aux rues pavées de briques, je demande à
des femmes où je peux me loger. Elles m’offrent un verre
d’eau et discutent avec moi avant de m’indiquer de me rendre
au centre-ville pour trouver quelque chose de pas très cher.
Je les quitte et je traverse la ville qui est finalement assez grande.
Je demande d’autres indications et la vieille dame me surprend
en me disant : regalame tus ojos!( Donnes-moi tes yeux!), une manière
étrange de me dire que j’ai de beaux yeux.
Je
me rends finalement à un hôtel bien propre et j’arrive
à dealer un meilleur prix avec le vieux monsieur qui devient
aussi protecteur avec moi qu’un gentil grand-papa. Je vais au
marché me faire à manger et les gens sont encore super
gentils. Je me sens réconforté car j’ai comme l’impression
que les gens s’occupent de prendre soin de moi. Après de
longs essais avec le réchaud, j’abandonne la chose pour
me rendre dans un comedor. Pendant que je mange, les deux enfants jouent
avec moi. La petite fille s’appelle Cristina et l’on discute
ensemble jusqu’à ce que je me meurs de fatigue. Je me rends
chez le vieux propriétaire pour téléphoner à
Maria Domingo de Mama Maquin, pour la remercier et lui demander les
contacts de Norma, une femme qui aurait pleins de contacts dans les
autres pays paraît-il. Je m’en vais au lit. Je suis bien
et calme. Je me sens en contrôle de moi-même et de mon temps.
Je lis jusqu’à ce que mes yeux ferment tout seul.