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7-8 septembre 2004


Entrée au Salvador
7 septembre 2004

Je me lève. Je n’ai pas de montre et j’ignore quelle heure il est, sauf que le soleil s’est levé et je veux faire comme lui. Je bouffe des bananes, brocoli, fromage et tortillas frettes. Je prends des heures à paqueter mon stock, il me semble. Puis, je pars. Le vieux de l’hôtel n’est pas là et je lui envoie des salutations par son voisin. Je passe dire salut à Cristina, la petite fille du restaurant et je m’en vais. J’achète du gaz à la station-service et un attroupement se forme autour de moi. Les mêmes questions, des beaux sourires et des Qué le vaya bien! Je suis de bonne humeur, je me sens comme le vent. Je passe le village de Molino où je souffre et je sue dans la côte qui n’en finit plus. Le chauffeur du taxi-mobylette ne peut s’empêcher de venir me jaser.

Le taxi a le temps de se remplir avant que je lui dise au revoir. Ils me demandent tous : voyages-tu seule?, un peu apeurés mais soulagés de la réponse. Il est évident que de ne pas être avec Francis rend les intéractions avec les gens souvent plus faciles et plus intéressantes pour moi. C’est comme si je deviens soudainement aux yeux de beaucoup de gens, autre chose que la blonde du gars qui fait ce voyage en vélo… Parce que quand on parle bicycle, on parle mâle, n’est-ce pas?! Même si la fille a plus d’expérience à voyager en bike et qu’elle connaît autant la mécanique que le gars, les hommes et même les femmes présupposent évidemment qu’en matière de bike on parle au gars et pour la cuisine on parle à la fille. Donc, puisque nous sommes en voyage de bike, il en découle le fait que plus de gens s’adresse à Murchison pour connaître ce que nous faisons. Peut-être que si je mesurais 6pi et que je serais plus bâtie, j’en imposerais davantage et que la situation serait différente, mais ce n’est pas le cas. Donc, être avec Francis implique que je doive m’adapter à ce genre de situation, ce qui est loin d’être toujours facile. GRRRRRRR!

Après des côtes merveilleuses, je me suis arrêtée manger des côtelettes de porc dans un petit restaurant. En sortant de la ville, un char de Ginos a fait un « burn » me demandant en anglais si j’avais besoin d’aide. Ouais! Besoin d’aide? J’ai tu l’air d’avoir besoin d’aide morons!

Je continue. Il y a des côtes et j’ai la fatigue. Le soleil tape et je sue et je bois et je sue plus. Un homme que Francis avait croisé coure après moi pour me dire que telle route n’existe pas. O.K. Il est à une heure environ avant moi. La police m’escorte pour quelques kilomètres à cause du danger disent-ils! J’arrive enfin avant la douane où mon amour m’attend. Je le vois surgir hors du restaurant et mon cœur fait boum-boum. Ah! Les retrouvailles! Notre plus longue séparation depuis…un bon boute. Je suis toute excitée, aussi un peu nerveuse à savoir s’il a encore envie de rouler avec moi. Il semble que oui! Et nous sommes tout content.

Il m’explique ses aventures, je raconte les miennes et l’on repart pour entrer au Salvador. On traverse le pont qui relie les deux chaînes de montagnes, une vraie barrière naturelle. Après quelques papiers dans les deux pays, nous partons dans une longue montée avec encore le gros soleil. Je suis morte. J’ai fait plus de kilomètres que Francis et je suis en manque de sucre. Le soleil m’affecte beaucoup et il me semble que mon corps dépense des quantités énormes d’énergie pour faire baisser ma température. Pendant un break peanut et miel, des jeunes enfants nous crient Gringos! Gringos!L’on renverse la situation à notre grand amusement : No somos gringos! Somos Russos! Ça leur ferme le clapet pendant quelques instants et nous nous inventons des personnages russes typiques. Boris et Natacha… On reprend la route jusqu’à un premier et unique hôtel. On se paye un repas de lapin a la plancha à 4$. On va dormir…


Los Farolitos
8 septembre 2004

Le lendemain matin, on mange encore au resto de l’hôtel et on prend ça relaxe. On lit le journal pour essayer de comprendre un peu mieux ce qui se passe dans le pays. Tony Saca est le président de droite qui est entré au pouvoir en mars 2004 je crois et qui s’est fait connaître pour sa politique Mano Dura qui se résume à prendre un problème social important, la délinquance des jeunes qui participent aux Maras et le régler à la manière forte, c’est-à-dire en mettant tous les jeunes en prison. Les Maras ont commencé à L.A. chez les jeunes immigrants illégaux salvadoriens déçus de ce qu’ils trouvent aux Etats-Unis (racisme, exclusion, vie difficile, rêve américain déçus). Les Maras sont des gangs dont les activités sont principalement basées sur la délinquance : vente de drogues, vols… Il y a le MS (Mara Salvatrucha) et le M18 qui sont en constante opposition l’une contre l’autre, menant à beaucoup de violence.

Les Maras ne sont porteuses d’aucune revendication sociale et d’aucun idéaux pour les jeunes, elles se fondent davantage sur le crime. Elles créent une réelle terreur et violence au Salvador, un des pays assez risqués que nous aurons à traverser. Au Salvador ce sont ceux qui se font renvoyer des USA qui forment à nouveau les Maras, c’est-à-dire des centaines de personnes par jours. Tony Saca a décidé de faire arrêter tous les jeunes portant des tatouages ou consommant des drogues (comme la dangereuse marijuana Houuuu!…), même si ses actions sont anticonstitutionnels, le président a le temps de faire passer des lois ultra-répressives avant que la cour suprême (ou supérieur) en condamne l’anti-constitutionalité. Je vais donc tâcher de cacher mon tatouage et de ne pas fumer mon joint à côté du poste de police!

Donc, dans ce beau matin, on lit, on sirote notre petit café et on se baigne dans la piscine de l’hôtel. C’est la belle vie!

En après-midi, nous partons vers la prochaine ville géothermique, comme dit l’affiche de Ahuachapan. On passe une lagune et des champs de maïs, en saluant les gens au passage. Je m’aperçois que plusieurs de ces gens me dévisagent et ne me répondent pas, alors qu’en me tournant la tête, je les vois saluer Francis avec enthousiasme. Je n’arrive pas vraiment à m’expliquer cette façon d’agir. Est-ce parce que je suis une femme?! Nous voyons des affiches de Ahuachapan, on voit des montagnes entourant la ciudad. On arrête pour manger des pupusas et la dame merveilleuse nous explique comment elle procède. Deux hommes arrivent en vélo et s’arrêtent pour poser des questions. Ils ne s’adressent qu’à Francis et lorsque celui-ci se lève pour aller payer, ils me demandent après quelques minutes de silence, où est-ce que Francis veut se rendre avec son voyage, que c’est vraiment fou ce qu’il fait et ils me demandent finalement s’il pousse ou s’il tire mon vélo!? Cette attitude machiste me répugne; ils ne peuvent pas même pas considérer qu’une femme puisse réaliser ces choses-là! Je suis vraiment dégoûtée par cet archaïsme masculin à croire dur comme fer que les femmes ne valent rien et qu’elles sont inférieures aux hommes! Pouf!

Plusieurs jeunes dans les rues de la ville transportent des structures de bambous et l’on remarque que la ville est en pleine organisation pour une fête. Nous entrons un peu plus dans la ville à la recherche d’un hôtel. Un policier sympathique nous donne des indications durant dix minutes et nous invite à participer à la merveilleuse fête du soir : los farolitos. Pendant que Francis va vérifier le prix d’un hôtel, je reste à jaser à cette vieille madame qui vend des journaux au coin de la rue. Elle a encore quatre enfants en bas âge et son mari est au lit souffrant de dengue. Elle me raconte à quel point il est dur pour elle de voir ses enfants si pauvres. Elle travaille vraiment dure pour les envoyer à l’école mais elle n’arrive tout simplement pas. Elle sait aussi que pour ses enfants, l’école est leur chance pour améliorer leur condition de vie. C’est une vie de sacrifices, d’avoir des enfants et un mari toujours malade dit-elle. Elle est si vraie et sincère, cette petite femme au visage ridé. Elle ne demandait rien, comme si pour une fois, on ne voyait pas que j’étais blanche.

La chambre d’hôtel est correcte, sauf qu’elle comporte encore des caractéristiques exotiques comme saletés, douche graisseuse et coquerelles. Le soir tombe et la fête commence. Les gens ont allumé des lanternes partout dans la ville et les jeunes ont construit des structures élevées recouvertes de lampions qui brillent dans la nuit. Des jeunes de la ville forment un orchestre fantastique avec tambours, trompettes et danseurs. Ils sont vraiment bons et doivent pratiquer à l’année longue pour obtenir ce résultat.

Francis et moi regardons les gens qui passent et marchons un peu partout dans la ville pour voir cette féerie de couleurs en l’honneur de la vierge. Ça contraste à grand choc avec le look des filles qui sont présentes. Les jeunes femmes et même les femmes plus âgées avec leurs enfants portent des jupes rase-mottes ou des pantalons ultra-serrés, avec un top soit transparent, échancré jusqu’au nombril ou attaché avec des ficelles… Le spectacle est assez incroyable! C’est tellement trop que ça n’a pu de classe chez plusieurs d’entre elle. Je me demande pourquoi elles s’habillent comme ça? Est-ce à voir avec leur petit côté latin…

Nous rentrons à l’hôtel assez affamés. Le réchaud ne marche vraiment plus. Je vais au resto sur la rue contiguë à l’hôtel qui est tenu par les mêmes propriétaires. J’attends un bout de temps et je jase à ce travesti qui buvait sa bière toute seule accoter au bar (ce qu’aucune fille ne fait dans ces pays). Puis, le propriétaire me demande ce que je veux manger. Il m’explique ce qu’il y a à manger. Je lui demande les prix. Il me donne un premier prix, puis après quelques secondes, il me jette un regard et me donne un prix plus haut en disant qu’il s’est trompé! Je pars à rire! Ouais, on me la fait souvent celle-là! Tenter de me charger un prix plus cher parce que je suis étrangère! J’essaye de voir avec lui s’il ne veut pas me donner le vrai prix. Il me regarde de manière hautaine et me dit « tu es la femme du cycliste, n’est-ce pas?! Va donc demander à ton mari ce qu’il en pense et tu reviendras après! Je suis rentrée dans l’hôtel en furie. La femme de l’hôtel qui s’apparente à être l’épouse du conard me demande ce qui m’arrive. Je lui dit que le gars du resto à essayer de me charger plus cher! Et je rentre dans la chambre en colère, les larmes aux yeux! S’en est trop pour aujourd’hui du maudit machisme. Les hommes ne sont VRAIMENT pas sympathiques avec moi dans ce putain de pays. Je suis tellement fâchée de ce comportement vraiment dégradant. Je dois avouer ne pas avoir personnellement vécu beaucoup de situation de machisme dans ma vie mais ces actions sont comme une claque d’en face! Ces petits gestes irrespectueux me font considérer l’ampleur du sexisme. On finit par manger des brocolis avec du sel.

Il pleut. Je suis vraiment affectée par la situation des femmes, en plus d’une fantastique diarrhée explosive qui me condamne à me rendre plus de 36 fois au toilette en moins de douzaine heures. Je passe la journée suivante à écouter la télé et je reste au lit sans énergie, pendant que Francis s’occupe d’aller nous chercher de la bouffe.