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1er et 2 octobre 2004



Crise existentielle
1er octobre 2004

Nous avons quitté Choluteca et avons croisé la parade de célébration des 159 ans de la ville. Après le petit déjeuner et quelques tours de la ville, un homme sur son vélo nous guide vers le bon chemin. Je suis vraiment fatiguée et mon esprit garde son voile endormi et fait paraître les choses irréelles. La foutue grippe m’assomme et nous faisons une pause sous un arrêt d’autobus pour boire. J’ai la gorge ultra-sèche et le vent de face n’aide pas. Équipés de petits bonbons à sucer, nous avançons sur cette route calme avec des vaches qui broutent et des montagnes. L’horizon avance et nous commençons à monter décidément. Sous le soleil du midi, nous arrêtons bien suants demander à une famille si elle peut nous préparer à manger. Il y a un attroupement de jeunes garçons devant nos vélos et ils ne manquent pas de nous regarder dans notre cuissard. Pendant ce temps, nous écoutons Amarte es mi pecado, mon feuilleton préféré avec des personnages déchirants et caricaturaux que nous pouvons toujours suivre après des mois sans la regarder. En plus, la toune de l’émission est merveilleuse. Les femmes de l’endroit sont bien aimables et nous échangeons des sourires. Je surprends un petit garçon tout nu et couvert de savon en allant me laver les mains. Il courre pour aller se cacher.

Nous continuons la montée avec la vue des montagnes et des falaises rocheuses impressionnantes. Nous voyons de beaux arbres au tronc très rond et aux branches immenses, des vivants ruisseaux et un paysage à couper le souffle sur une vallée où serpente une rivière, un lac, de l’herbe verte et des arbres à la cime large.

À l’intérieur de moi, je sens par contre une certaine angoisse qui m’avait troublée dans mon sommeil. Je suis et je reste abasourdie par le fait que nous venons d’accomplir une année de voyage. C’est la crise du 1 an. Je me demande ce que je fais. Je n’arrive pas à réaliser que ça fait 1 an que je fais du bike. Je n’arrive pas à constater si ça m’a vraiment apporté quelque chose. Je suis contente d’avoir réaliser tout ce trajet et d’avoir réaliser le projet de cycloamerica. Tout ça m’a apporté beaucoup d’expériences et de connaissances, mais je n’arrive pas à voir si ma vision des choses a changé. Je n’arrive pas à avoir une vision objective d’où je suis rendue. J’ai vraiment l’impression que je ne sais toujours pas ce que je veux faire de ma vie. Je ne sais pas quelle maîtrise je voudrais faire, ni même si la bio c’est vraiment le domaine qui unit le plus d’éléments qui me passionnent.

J’ai envie d’étudier pour apprendre à agir davantage et mieux dans ce que je crois qui est bien. J’ai aussi envie d’étudier pour approfondir mes réflexions sur le monde. J’ai l’impression d’être aussi perdue qu’avant mon départ sauf que maintenant je n’ai plus ce rêve de faire le voyage puisque je le fais. Qu’existe-t-il devant moi? Dans les prochains mois, je sais ce que je ferai mais je me demande quand même que se passera-t-il après le voyage. J’ai quand même le bruissement d’un rêve qui persiste… J’ai toujours voulu jouer un instrument de musique. Je crois qu’au retour, pendant que je chercherai ma maîtrise, je me mettrai à l’apprentissage d’un instrument de musique. Je crois que je ne voudrais pas finir ma vie sans savoir bien jouer d’au moins un instrument. J’envisage que ce ne sera pas une tâche facile de pratiquer et de ne pas me décourager, mais j’essayerai de m’y consacrer du temps sérieusement, avec plaisir.

Bon voilà! Mon avenir est conclu, je peux maintenant penser à autre chose. Hmmmm! J’aimerais que mon petit cœur soit aussi simple…

Nous finissons la journée sur le terrain d’une dame et pendant qu’on se repose au soleil couchant, elle nous apporte le repas du soir sur un plateau! Les gens sont si gentils…


Nicaragua, nicaraguita…
2 octobre 2004

Nous déjeunons chez la bonne dame qui nous fait un déjeuner de rois pendant que nous jouons avec sa petite-fille. Nous roulons avec le vent de face dans une interminable montée. L’air est frais et merveilleux. Les gens que nous croisons sont très compatissants. Une femme qui monte lentement la côte avec le sceau contenant la pâte de maïs discute un peu avec moi et me sourit joyeusement en me donnant des encouragements. Nous roulons à la vitesse d’une personne qui marche lentement. Nous passons un village où l’on décide de prendre un snack. Ça creuse tout cet exercice! Le paysage est somptueux et sans trafic aucun. Nous arrivons à San Marcos Colon pour une pisse et gaseosa. Déroulant nos muscles sous la petite pluie, nous arrivons jusqu’à la douane del Espino. Nous nous fracassons sur la bureaucratie güengüense qui est pénible et corrompue. Francis surveille les vélos des rapaces aux aguets pendant que je tente de survivre à la maison des fous! Deux « assistants douaniers » ou travailleurs informels avec badge suspecte « m’aident » avec les formulaires et processus. En plus, des cartes de touristes, nous devons pour la première fois « enregistrer les véhicules », faire valider par l’agent d’immigration, faire estampiller la fiche pour les véhicules. Ensuite, j’ai dû aller faire la file pour l’entrée au pays, faire changer l’argent et payer les droits d’entrée. Ceci implique aussi de faire affaire avec le changeur d’argent qui m’insulte à volonté, pensant que je ne comprends rien. Nous sortons de cet endroit avec les fusibles prêts à sauter et avec moins de 2 $ dans les poches en direction de Somoto.

Depuis plusieurs jours et aujourd’hui c’est pire, je suis vraiment excitée à l’idée de revoir ma famille Nica, c’est-à-dire la famille qui avait accueilli Nancy et moi en 98 lorsque j’avais participé au projet de solidarité internationale de Liaisonneuve. C’est aussi ici que Nancy et moi avions eu l’idée de parcourir le continent en vélo. J’ai caressé ce rêve pendant de longues années, en me préparant au périple. Maintenant, je retourne à l’endroit qui avait vu naître le rêve. Sur la route pour Somoto, nous entendons une vieille voix de femme crier : Chele (ce qui est comme leche pour dire que nous sommes blanc en langue nica!

L’excitation est à son comble lorsque nous entrons dans la ville. Elle est décorée de drapeaux sandinistes qui flottent au vent. Nous passons l’église et la crèmerie eskimo. Nous montons la rue qui a bien changé depuis six ans avec maintenant plus de magasins. Les plantes épiphytes couvrent encore les fils électriques. Je demande à différentes personnes où se trouvent la maison de Ana Luisa Mejia Matute. Un homme nous guide sur son vélo, une rue plus bas je retrouve la maison. La famille est tellement surprise mais ils me reconnaissent. J’avais eu peur qu’ils ne me reconnaissent pas.

Ma mère me confie qu’elle avait un peu perdue espoir de nous revoir. Suite à l’ouragan Mitch qui a dévasté le Nicaragua et aussi le Honduras, la famille s’est retrouvée dans une mauvaise situation. Un des murs de la maison a commencé à s’effondrer. Nancy et moi avions envoyé une lettre pour savoir s’il allait bien mais il semble que ce ne soit pas toutes les lettres qui se soient rendus, surtout que nous n’avons reçu qu’une seule lettre en retour. Puis, le temps a passé et notre pratique de l’espagnol s’est diminué rendant l’envie d’écrire à la famille plus ardue. Ana Luisa m’explique que durant cette période, elle se soit senti abandonner. Elle a fait du bénévolat pendant plus de 15 ans pour le Movimiento Comunal, l’organisation de base du Front Sandiniste de Libération Nationale. Dans son l’implication, elle a aidé des familles plus pauvres, mais lorsque sa famille a eu besoin d’aide, personne n’a voulu leur apporter du support. Auparavant, la famille vivait plus aisément avec les revenus du mari de Ana Luisa qui occupe un haut poste militaire. Celui travaille sur la Côte Atlantique très loin de la maison, avec l’alcool et les femmes, il est libre comme le vent me confiait les parents de Ana Luisa, Carlos et Juana avec amertume. Ainsi, depuis quelques années, l’argent qu’il envoie a beaucoup diminué et Ana Luisa tente de trouver d’autres sources de revenus, mais sans grand succès. Les gens de la ville continuent de percevoir la famille comme ayant assez d’argent, sans que ce soit le cas. J’ai beaucoup d’expérience mais il n’y a pas d’emploi qui génère des revenus, seulement du travail bénévole, dit Ana Luisa.

Puis, ils ont reçu une pensionnaire du Peace Corps et c’est son aide personnel et celle de sa famille qui ont permis de réparer le mur et de faire d’autres aménagements comme une toilette qui flush (et non pas seulement la latrine qui existe toujours; sans vouloir juger, je crois que la toilette qui flush fut une idée suivant les valeurs de cette Américaine. Encore la moitié de la famille utilise la latrine, qui est aussi écologiquement plus respectueuse!). Ma mère nica parle aussi des bourses d’études offertes par une ville-sœur de la France, auxquelles ses filles ont appliqué. Elle raconte que la bourse était vraiment intéressante (80$US par mois). Cependant, elles ont été distribués dans les familles en lien avec la mairie et d’autres gens à qui les politiciens « devaient reconnaissance ». Ana Segovia n’étude qu’à temps partiel actuellement, à cause de leur manque de moyens. Finalement, je me sens assez triste de ce qui leur est arrivé et coupable de ne pas avoir continuer à donner des nouvelles et ne pas avoir été là pour les aider. Je tacherai d’organiser quelque chose pour que Nancy et moi puissions les aider dans les années qui viennent pour les études des filles.

Dans la cour, il y a encore le mamonier qui couvre le jardin (arbre qui produit des mamons « qui tête », terme nica ou guaya terme mexicain). Il y a maintenant deux chiens et des perroquets dans la cour. Ana Luisa s’amuse à faire danser le perroquet qui parle, en faisant la poule dans le jardin. Je suis super excitée d’être ici et de revoir ce qui m’avait sérieusement manqué. La connexion avec la famille se fait tout de suite. On jase politique Nica. Ma mère Ana Luisa est toujours aussi merveilleuse et me parle des nouveaux dénouements sandinistes. Daniel Ortega doit justement venir faire son discours demain pour appuyer le candidat sandiniste à la mairie de Somoto, les élections approchant à grands pas.

Mes sœurs ont beaucoup changé, elles sont maintenant six ans plus vieilles. Il y a Ana Segovia qui a 22 ans, Carla qui a 18 ans, Luz de 15 ans et Marieli de 10 ans. Ana Segovia est maintenant une vraie femme et elle est très belle avec son doux sourire et ses cheveux noirs et bouclés. Elle a l’air plus mulâtre que les autres filles de la famille. Carla est plus grande et a un très beau visage et une voix très tendre. Elle est toujours assez réservée mais elle semble aussi avoir une vie cachée avec ses amies. Elle est très studieuse et très attachante. Luz est toujours une bombe d’énergie, fait toujours des blagues et est plus sportive. Elle a une voix grave et promet d’être une très belle femme, avec son corps qui déjà se transforme. Marieli a déjà la taille de Luz et très menue. Elle n’avait que quatre ans lorsque nous sommes venus et ne me reconnaît pas vraiment. Je suis une étrangère qui arrive chez elle et elle semble un peu effrayée comme si elle avait peur de s’attacher et de nous voir partir ensuite.

Bien que ce soit dur à croire, la maison est encore plus pleine que lorsque nous étions venues. La sœur d’Ana Luisa, enceinte avec deux jeunes enfants, est maintenant divorcée et reste chez ses parents. Le frère d’Ana Luisa est professeur au primaire et gagne très peu par mois; il vit donc aussi à la maison de ses parents. Et il y a l’autre sœur qui a souffert de polio lorsqu’elle était jeune et qui est rester célibataire.

La nourriture est excellente tout en gardant le même thème du riz et des frijoles. Je m’étais ennuyée de la nourriture d’ici. Les tortillas faites à la main par la famille et la crème ou le fromage frais. Chaque matin, il y a toujours ce bruit rassurant de la main ferme frappant la tortilla, qui prendra la forme d’une belle lune et que l’on fera cuire sur le comal avec feu de bois. Au réveil, on nous donne un café chaud et un pain dulce. On nous nourrit à satiété et bon pour la santé.

Le lendemain de notre arrivée, Francis va chercher de l’argent en bus jusqu’à Esteli. Nous sommes paumés et nous n’avons même pas assez pour s’y rendre tous les deux. Pendant ce temps, je reste à la maison et Ana Segovia m’invite à son cours de chant. J’apprends donc une belle chanson de Carlos Mejia Godoy, Los Almendros. Ana Segovia joue aussi la guitare et possède un très bon rythme mais lorsque les filles ont chanté ensemble, Francis et moi avons souffert de réelle torture auditive. Il est étonnant à quel point ils n’ont pas de voix.

En après-midi, les gens attendent la venue de Daniel Ortega. Ma mère est toute belle, habillée en rouge et noir, les couleurs du FSLN. Les rues sont bondées, les camions passent chargés de militants avec leur drapeau. Parmi la foule, je ne peux m’empêcher de noter que les femmes nica sont différentes des mexicaines ou des salvadoriennes. Il n’y en pratiquement pas qui porte la jupe ou la robe, le chandail est serré sans être échancré jusqu’au nombril. Elle porte le pantalon. Leur attitude est aussi différente. Elles ont davantage une présence pour s’affirmer. J’adore ça. On sait aussi que les femmes nicaraguayennes ont beaucoup participé à la révolution sandiniste, peut-être que leur attitude vient de là. Même ma mère y a fortement participé et nous racontait ses histoires lorsque nous étions venues en 1998. Cependant Ortega n’arrivera que très tard le soir, avec plus 8 heures de retard.

En attendant, on parle un peu politique. Arnoldo Aleman, l’ancien président de droite, ami des États-Unis, est maintenant en prison dans sa maison pour corruption. C’est le président actuel qui l’a fait arrêter. Le type est du même parti que Aleman, et s’est fait financer ses élections par Aleman, donc ce n’est pas une grande victoire contre la corruption. Il s’agît plutôt du lavage de linge sale dans la famille des riches et puissants. Ma mère est convaincue que le FSLN gagnera beaucoup de municipalité aux élections. Elle raconte aussi que les États-Unis ont commencé un programme de désarmement des maisons au Nicaragua. Ma mère rit beaucoup de la situation car elle dit que tout le monde garde des armes à la maison au cas où un soulèvement surviendrait (elle me fait comprendre que sa famille aussi en a). Même l’armée est sandiniste, elle le sait très bien car son mari y travaille. Cependant, le parti ne veut pas d’un coup d’État et a toujours participé au processus démocratique. Malheureusement dit-elle, ce sont des observateurs américains qui s’assurent que les élections respectent leurs intérêts. Je ne sais pas jusqu’à quel point ces commentaires sont vrais, mais j’aimerais voir un jour le retour du FSLN au pouvoir.

Pendant la semaine, nous nous sommes reposés chez la famille. Nous avons travaillé un article. J’ai aidé Ana Segovia avec son travail sur les aires protégées et nous avons passé du bon temps. Nous voulions faire une surprise à la famille. Nous sommes donc allés commander un gâteau chez le pâtissier. Nous sommes arrivés en soirée avec l’énorme gâteau et c’était trop cool.

Finalement, j’ai passé une des plus belles semaines de mon voyage, même s’il en reste beaucoup à faire. Je vais arrêter ici d’en parlé, mais ces gens sont vraiment formidables. Je reviendrai c’est sûr!